L’adoption controversée des lois 21 et 96 – et surtout l’évocation des dispositions de dérogation visant à les mettre à l’abri du contrôle des juges – a remis la notion de « nation » québécoise au cœur des débats.

Le Québec a atteint la maturité d’une vraie nation – pour le moment au sein d’une fédération certes imparfaite, mais à laquelle les Québécois n’ont pas voulu renoncer. Et qu’ils continuent de façonner. Avec cette maturité viennent pouvoir et responsabilités.

Les pouvoirs du Québec ne sont pas ceux d’un État entièrement souverain. Seule l’indépendance pourrait lui conférer de tels pouvoirs (qui ne sont pas absolus, mondialisation et droit international obligent). Mais les pouvoirs du Québec au sein du Canada sont considérables et font l’envie de nombreuses entités fédérées ailleurs dans le monde.

Le fédéralisme canadien – avec tous ses défauts – n’a pas empêché le Québec de réaliser sa Révolution tranquille et de développer une société moderne et ouverte. En français. Même si elles sont aujourd’hui fragilisées, des politiques sociales progressistes ont été développées par des Québécois, sur le territoire du Québec.

L’autonomie du Québec ne fait pas de doute. Pour rappel, le terme vient de « auto-nomos » : nos propres normes. Nous prenons largement nos propres décisions. Bonnes ou mauvaises. Pas de façon entièrement autonome évidemment.

Qu’on le célèbre ou qu’on le déplore, le Québec fait toujours partie du Canada et ne peut tout maîtriser. Mais il maîtrise beaucoup.

Si la règle de la majorité simple avait eu cours au Canada depuis plus de 150 ans, la nation québécoise n’existerait peut-être plus. Il n’y a pas de doute que certains, ailleurs au pays, aient souhaité cette disparition, que ce soit selon la formule Durham (un trépas par assimilation) ou par la transformation des Québécois francophones en une minorité comme les autres, quoique dotée de droits linguistiques (Pierre Elliott Trudeau). Or, aucun de ces deux projets n’a abouti.

Le Québec forme bien une nation au sein d’un Canada qui reconnaît tant bien que mal qu’il est multinational. Qu’on l’apprécie ou non, le fédéralisme a conféré d’importants leviers au Québec (leviers dont ne jouissent pas les minorités francophones ailleurs au Canada). Des institutions, des compétences, des ressources.

Mais avec cette autonomie viennent de sérieuses responsabilités. Celles qui incombent aux gens et aux peuples qui ont du pouvoir. Qui ont pu être victimes de conquête, de domination, d’oppression. Mais qui sont largement sortis de ces tranchées historiques.

Le Québec est une nation à la fois minoritaire (et donc vulnérable) et majoritaire (et donc puissante).

Une « petite » nation dans un monde aux prises avec la montée de l’autoritarisme qui – au nom du peuple – remet en cause des droits individuels et collectifs. Qui rejette la diversité et craint « l’autre ». Un monde où le pouvoir exécutif instrumentalise trop souvent le pouvoir législatif et diabolise le pouvoir judiciaire. La nation québécoise doit résister à ces dérives.

Nous avons le pouvoir – et les responsabilités – de promouvoir et de défendre une société juste, inclusive, libre et profondément démocratique. Qui reconnaît les injustices subies, mais qui agit avec ouverture, et qui comprend que la simple « majorité » n’a ni toujours raison, ni tous les pouvoirs.

Qu’une majorité doit prendre les minorités au sérieux. Que la démocratie n’est pas seulement une façon de prendre des décisions, de gouverner. La démocratie repose sur la délibération entre différents groupes et institutions, la transparence et les contre-pouvoirs. La démocratie implique l’obligation d’expliquer et de justifier le bien-fondé des décisions prises. D’accepter que celles-ci soient remises en question et contrôlées.

Cela ne signifie pas renoncer à un projet de société francophone ou à une réelle séparation de l’État et de l’Église. Cela ne signifie pas endosser automatiquement le multiculturalisme qui semble aller de soi ailleurs, ou accepter la fin de non-recevoir que nous offre Ottawa lorsque l’on évoque des « conversations » constitutionnelles. Cela ne signifie pas baisser la tête face au Québec-bashing.

Par contre, prendre ses responsabilités en tant que nation signifie renoncer à utiliser les leviers du pouvoir de manière viscérale au nom d’une simple majorité. Renoncer à utiliser le bâillon à l’Assemblée nationale lorsque des lois cruciales pour la cohésion sociale sont débattues. Résister à la tentation de gouverner par décret plutôt que par loi (c’est tellement plus efficace !).

Hésiter sérieusement avant de suspendre les droits fondamentaux – surtout ceux dont le Québec s’est doté grâce à sa propre Charte des droits, adoptée avant la Charte canadienne, et directement inspirée du droit international. On peut critiquer le mode de nomination des juges, et contester leur influence, mais sans nier l’importance de ce contre-pouvoir.

La démocratie, c’est reconnaître que la nation ne parle et ne pense pas d’une seule voix.

La nation québécoise doit garder le cap – être un phare démocratique et inclusif dans un monde où xénophobie, populisme et corruption dénaturent le débat public et menacent la paix sociale. Elle doit montrer qu’elle sait utiliser ses pouvoirs, son autonomie, pour résister à ces dérives. Pour être une nation dont on puisse continuer d’être fiers.

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