Ne swipez pas à droite ! Quand vous aurez terminé de lire ce texte, cinq personnes auront succombé à la faim ou à la malnutrition – et ce, uniquement au Kenya, en Somalie et en Éthiopie. Cette catastrophe aurait pu être évitée, et des vies peuvent encore être sauvées, si nous nous mobilisons rapidement.

Certes, on préférerait ne pas entendre parler de la faim dans le monde. Après avoir plus ou moins bien survécu à six vagues pandémiques et assisté à la possibilité d’une troisième guerre mondiale, le tout sur fond de crise écologique, on se tournerait plus volontiers vers l’horizon insouciant des vacances estivales.

Mais ce serait faire l’autruche face à la difficulté croissante d’une partie de la population mondiale à se nourrir. Alors que les moyens de production suffisent à alimenter la planète et que les milliardaires, notamment du secteur agroalimentaire, s’enrichissent même en temps de pandémie, la faim a augmenté de 20 % en 2021.

Ce sont aujourd’hui près de 200 millions de personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire aiguë dans le monde. Plus de cinq fois la population canadienne.

L’un des contextes les plus préoccupants est celui de la Somalie. Le pays traverse sa quatrième saison des pluies… sans pluie. À en juger par les prévisions météorologiques, une cinquième saison sans eau se profile. Plus du quart de ce pays de 15 millions d’habitants se trouve déjà en situation de crise alimentaire. C’est une personne sur quatre qui n’a pas assez à manger et doit se tourner vers des moyens de survie extrêmes comme envoyer ses enfants travailler en ville, vendre son bétail au rabais ou retirer ses filles de l’école pour les marier et ne plus avoir à les nourrir. La cicatrice de la famine de 2011 menace de se rouvrir.

La Somalie est un exemple parmi plusieurs autres : Éthiopie, Yémen, Afghanistan, Burkina Faso, Niger, Liban, Syrie, Haïti… Le nombre de régions du monde en crise alimentaire explose et le triste cocktail des « trois C » – COVID-19, conflit et climat – est très souvent en cause. Dans ces pays déjà fragiles, la pandémie a non seulement coupé les revenus de populations souvent dépourvues de filet de sécurité, elle a aussi aggravé l’endettement de l’État au point d’empêcher les investissements publics nécessaires pour parer les chocs.

Les conflits armés sont une des causes principales de la faim. L’insécurité empêche les gens de circuler pour cultiver ou commercer et prévient l’aide humanitaire de se rendre aux communautés les plus isolées. À ces perturbations locales s’ajoutent les répercussions du conflit en Ukraine.

Quelque 90 % du blé consommé en Afrique de l’Est provient de Russie et d’Ukraine, et l’inflation pétrolière a fait doubler, voire tripler, le prix de certains produits essentiels à l’alimentation, comme l’huile végétale et l’engrais agricole.

Enfin, les changements climatiques creusent leurs cicatrices. Les sécheresses, de plus en plus fréquentes et intenses, sont suivies d’inondations en raison du sol qui n’absorbe plus l’eau et qui draine ce qui a été semé. De plus en plus d’agriculteurs sont forcés de se déplacer, perdant du même coût leurs terres et le réseau social qui leur permettait de survivre. Et ce, ironiquement, dans des pays responsables d’une fraction négligeable des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Quand on parle d’injustice…

En 2011, 260 000 personnes ont perdu la vie en Somalie à cause de la faim, dont la moitié étaient des enfants. On avait dit « plus jamais ». En 2017, les pays donateurs ont répondu à l’appel et la famine a pu être en grande partie évitée.

Aujourd’hui, alors que les pays du G7 s’étaient engagés à prévenir la famine il y a un an, on traîne⁠1. Moins de 20 % des fonds demandés par les Nations unies ont été consentis.

L’aide supplémentaire de 250 millions au Programme alimentaire mondial annoncée par le gouvernement du Canada à la veille du Sommet du G7 est un geste important. Toutefois, bien que la moitié des crises humanitaires soient prévisibles, seulement 1 % des budgets vont à la prévention et à la préparation. Il serait inspirant de voir le premier ministre inciter ses pairs à agir en amont, bien avant que le pire ne se produise dans les pays les plus vulnérables⁠2. Afin qu’au prochain Sommet du G7, la crise alimentaire ne figure plus à l’ordre du jour.

* Cosignataires : Céline Füri, coordonnatrice humanitaire, Oxfam-Québec, et Nadja Pollaert, directrice générale, Médecins du monde Canada

1. Consultez le rapport d’Oxfam et de Save the Children 2. Consultez le site de la Coalition humanitaire Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion