La députée provinciale Paule Robitaille, qui a annoncé son retrait de la vie politique, s’est rendue à nouveau sur le terrain en Ukraine, un pays qu’elle a souvent visité alors qu’elle vivait en Russie. L’ancienne journaliste nous parle de l’impact du conflit sur la jeunesse ukrainienne et des attentes envers le premier ministre Justin Trudeau, qui participe au sommet du G7 aujourd’hui.

(Lviv, Ukraine) De Lviv, tout près de la Pologne, le front est très loin à 1200 km à l’est, plus loin que Havre-Saint-Pierre pour Montréal. Par un magnifique samedi de juin, sur la grande place de l’Opéra, les enfants courent à travers les jets d’eau d’une fontaine élaborée. Un groupe joue une musique techno. On dirait une ville européenne comme les autres. Et pourtant, lorsqu’on s’attarde un peu à Lviv, on voit la guerre partout ; sur les affiches qui tapissent les murs de la ville médiévale, sur la grande place de l’hôtel de ville qui exhibe la carcasse d’un avion russe abattu récemment, mais surtout elle pleure ses soldats à la cathédrale militaire au cœur de la cité.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

Affiches sur un mur de Lviv

Ce matin-là, je témoigne des funérailles de trois militaires tombés au Donbass. Il y a la fanfare militaire, les amis en treillis qui sortent de l’enceinte en portant les cercueils et les familles qui suivent le cortège. J’entends pleurer très fort, un cri strident, et je vois une dame habillée de noir s’effondrer et de jeunes gens qui viennent à sa rescousse.

Des scènes comme celle-là se répètent chaque jour à Lviv. Le cimetière de la ville, plein à craquer, a même ouvert une toute nouvelle section. Je marche dans les allées de tombes fraîchement creusées. En lisant les épitaphes, je constate que l’immense majorité de ces hommes ont moins de 30 ans, le futur de ce pays. Les combats à l’est sont d’une violence inouïe, le président Volodymyr Zelensky parle de 100 à 200 morts par jour. Et à Lviv, la nouvelle section du cimetière se remplit à toute vitesse.

Je demande à mon jeune guide, Markian Kobyletskie, 20 ans, si cette affolante saignée ne lui donne pas envie que l’Ukraine négocie enfin la paix. « Pourquoi ? demande-t-il indigné. C’est justement pour cela que l’on se bat ! »

Les propos du président de la République française, Emmanuel Macron, qui voudrait permettre à Poutine de sauver la face et qui suggère un « apaisement » le répugnent.

Markian, comme tous ces jeunes Ukrainiens qu’ils parlent russe ou ukrainien, est complètement déconnectés du passé soviétique, de l’État russe. Depuis 2017, ils visitent l’Europe sans visa, ils y travaillent et c’est beaucoup plus facile et plus amusant d’aller à Paris qu’à Moscou. Ils sont européens. Cette guerre, elle est tant un combat pour la survie de la nation que le désir de vivre dans un pays libre et démocratique comme à l’ouest de la frontière. Pour eux, une victoire russe équivaudrait à la mort par asphyxie. La décision unanime de l’Union européenne de permettre à l’Ukraine d’en être candidate donne de l’oxygène. Mais le temps file et les blessures sont de plus en plus profondes.

Sur l’une des grandes avenues, un convoi de trois ambulances et de deux autobus scolaires file rempli de soldats. Il arrive de la gare de train directement du front et les blessés sont amenés à l’hôpital militaire. En Ukraine, les blessés civils et militaires se comptent par plusieurs centaines chaque jour. Lviv en reçoit la plus grande partie parce que la ville est loin des combats, bénéficie de la proximité de la frontière et donc d’une aide internationale plus généreuse.

Ce samedi matin, je rencontre Andriy Moskalenko, le maire adjoint, qui a lui aussi à peine 30 ans. Son téléphone ne dérougit pas. « Nos médecins et notre personnel infirmier ne suffisent plus, s’exclame-t-il. Le monde ne s’imagine pas le coût de cette guerre en vie humaine, en destins chamboulés, les dizaines de milliers d’éclopés, de traumatisés, d’amputés. Tous, les forces vives de l’Ukraine ! »

Andriy Moskalenko rappelle que cette guerre, les Ukrainiens la font pour nous aussi, pour contenir le délire impérial de Vladimir Poutine et protéger nos démocraties libérales des conséquences d’un « débordement » de ce pouvoir de Moscou qui nourrit les gouvernements d’extrême droite et les autocrates de ce monde.

Parce que ce conflit en Ukraine est en train de définir un nouvel ordre mondial. Il sera un prélude ou une grande finale. Si la guerre se termine avec Vladimir Poutine confortablement au pouvoir et la Russie en possession du cinquième de l’Ukraine, alors la Russie pourra tirer la leçon que ses méthodes fonctionnent. Là-bas, le compromis ou l’apaisement est un signe de faiblesse. Le rouleau compresseur de la reconquête avancera lentement mais sûrement et continuera de déstabiliser. La Chine qui regarde en tirera les mêmes constats. Qu’adviendra-t-il de Taiwan ?

À Lviv, on est d’avis que la fin de la guerre froide n’était en fait qu’un mirage. Cette fois-ci, on veut résolument demeurer dans le camp de l’ouest.

Que ce soit à la grande rencontre des pays du Commonwealth à Kigali ou celle du G7 en Bavière, le gouvernement Trudeau aura l’occasion de jouer un rôle clé, celui de trouver des solutions au blocus de la Russie qui tient l’Afrique en otage et rallier pour soutenir l’Ukraine fermement et concrètement.

Tous ces morts ne doivent pas l’être en vain. N’abandonnons pas la jeunesse ukrainienne qui veut rester à l’Ouest. C’est son avenir, et le nôtre, qui se joue.

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