Depuis longtemps, des institutions insistent sur le fait que l’étalement urbain multiplie les besoins en infrastructures publiques et rend les ménages dépendants de plusieurs automobiles. De plus, des politiciens ou écologistes reconnaissent maintenant que la réduction de l’étalement urbain est essentielle à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Par contre, les solutions préconisées semblent relever de la pensée magique : il suffirait de construire des bâtiments de moyenne et haute densité, un peu n’importe où, pour arrêter l’étalement et réduire l’usage de l’automobile. Cette approche est vouée à l’échec, car elle ne tient pas compte des causes profondes de l’étalement. En voici quelques-unes :

– De nombreuses études ont montré que l’étalement urbain était fortement subventionné (notamment Cahiers du GRIDD-HEC). Au Québec, en tenant compte des coûts des routes, des stationnements publics, de la pollution et des services policiers consacrés aux routes, la subvention nette est d’environ 4000 $ par véhicule par année (pour 15 000 km/an en 2020). Si on applique cette moyenne à un ménage de banlieue lointaine, avec deux ou trois véhicules effectuant un total de 60 000 km par an, la subvention transport est de l’ordre de 16 000 $ par année par ménage. À l’opposé, un ménage urbain reçoit une subvention minime ; il paie donc des impôts qui servent à soutenir ceux qui font l’étalement urbain ;

– Ce bilan ne tient pas compte du fait que l’étalement exige souvent de nouvelles écoles et de nouvelles usines de filtration et d’épuration. En payant pour ces équipements, le gouvernement provincial subventionne l’étalement urbain ;

– La fiscalité municipale, basée sur les taxes foncières, a également un parti pris pour la faible densité. Si on compare un bloc de 40 condos avec 40 maisons unifamiliales, on peut facilement démontrer que chaque condo, par unité, exige 10 fois moins de rues, trottoirs, aqueducs, égouts, éclairage et déneigement publics. Malgré cela, le propriétaire d’un condo paie des taxes foncières semblables à celles des maisons unifamiliales. Une grande proportion de ses taxes permettent donc de donner des services à la faible densité.

Il ne s’agit pas d’accuser les citoyens qui ont choisi la banlieue. Au contraire, ce bilan montre que le choix de la banlieue est un choix rationnel, compte tenu de toutes les subventions.

Voici d’autres partis pris pour l’étalement, que les groupes environnementaux n’osent pas mentionner :

– Dans leur décision d’accorder un prêt hypothécaire, les banques ne considèrent que la valeur de la propriété. Cela signifie qu’un ménage modeste peut obtenir un prêt de 400 000 $ sur une maison unifamiliale de banlieue, qui exigera deux ou trois véhicules. En contraste, l’hypothèque d’un condo urbain de 500 000 $ serait refusée, même si ce choix permet de grandes économies en transport ;

– La vie dans un milieu dense exige que les autorités publiques fassent une gestion des nuisances sonores. Sur ce plan, la performance québécoise est assez mauvaise : aucun programme visant l’insonorisation des logements, pratiquement aucune limite sur le nombre d’animaux de compagnie qui peuvent occuper un logement. Aux États-Unis, de nombreuses administrations de condo interdisent les chiens ; une telle décision est impossible au Québec, selon nos pratiques légales ;

– Depuis 50 ans, tous les gouvernements ont considéré l’accès à la propriété comme un outil d’enrichissement des ménages. Cette option est encore disponible pour les maisons de banlieue, mais elle est devenue presque impossible pour les condos neufs : comme les gouvernements n’ont rien fait pour favoriser la copropriété, presque tous les nouveaux bâtiments de moyenne à haute densité offrent maintenant des « condos locatifs », qu’il est impossible d’acheter.

Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de ménages québécois choisissent la banlieue ou refusent un habitat dense. La lutte contre l’étalement urbain est d’abord un enjeu collectif, qui exige de changer fondamentalement les priorités fiscales et budgétaires. Il faudra notamment augmenter sérieusement la taxe sur le carbone. (Attention pour ne pas confondre les effets d’une taxe, dont le fruit reste ici, avec la situation actuelle qui génère des milliards de dollars de profits aux pétrolières.)

Il faut aussi arrêter de subventionner des extensions routières. En fait, il n’existe que deux modes de transport qui stimulent la concentration du développement : le métro et le tramway, dont les stations permettent un habitat dense, où les citoyens auront un bon service de transport.

Le Québec doit considérer sérieusement l’option tramway, car, pour un budget donné, le tramway permet 10 fois plus de stations que le métro. Partout dans le monde, les réseaux de tramway permettent de densifier les villes et de réduire les émissions de GES. Il y a 1167 lignes de tramway en Europe, contre 0 au Québec.

Pour le transport individuel, plusieurs politiciens et écologistes font la promotion des véhicules électriques, dont les coûts réels varient entre 50 000 $ et 120 000 $. Aux États-Unis, environ 45 % des véhicules électriques appartiennent à des ménages qui ont trois, quatre ou cinq véhicules. L’auto électrique est clairement au service de l’étalement urbain. Et les subventions aux autos électriques représentent une autre subvention à l’étalement, au bénéfice des ménages les plus riches.

Des politiciens mentionnent maintenant la nécessité de réduire l’étalement et d’augmenter la densité. Mais au-delà des belles paroles, il n’y aura pas de progrès significatif sans changement majeur des pratiques fiscales et budgétaires. À quand la révolte des propriétaires de condos urbains, dont le compte de taxes foncières est abusif par rapport aux services reçus ?

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