Pas un mois ne passe sans que la Fédération québécoise des massothérapeutes agréés soit témoin de dénonciations à caractère sexuel en massothérapie. Plusieurs font les manchettes, mais pas toutes.

Dans les plus atroces se trouve le scandale du massothérapeute Jean-François Morrison, qui a abusé sexuellement de 21 femmes. Il a été condamné à 7 ans de prison, au printemps 2022.

Dans pratiquement tous les cas, il s’agit de massothérapeutes hommes qui abusent de la confiance de clientes. Lors d’un soin de santé, le client est en situation de vulnérabilité face à l’autorité de l’expert consulté.

L’intimité et la nudité partielle en séance de massothérapie jouent également en faveur du massothérapeute, renforçant sa position d’autorité.

Tout abus de pouvoir peut engendrer des séquelles psychologiques. Comme nous l’avons souvent vu avec le mouvement #metoo, bien des victimes craignent de ne pas être crues et gardent le silence. La Fédération québécoise des massothérapeutes agréés compte un syndic, un avocat criminaliste, qui analyse les plaintes.

Nous recevons même des plaintes concernant des massothérapeutes d’autres associations (Jean-François Morrison n’a jamais été membre de notre association). Mais quoi qu’il en soit, le contexte actuel au Québec fait qu’il est difficile de rendre justice adéquatement.

Trop facile de s’en tirer

La plupart du temps, le massothérapeute faisant l’objet d’une plainte quitte notre association pour se faufiler dans une autre, sans trop de problème.

Le fautif n’aura qu’à mentir sur le formulaire d’adhésion de l’autre association, si cette dernière questionne ses antécédents. En l’absence d’un ordre professionnel, la loi nous interdit de révéler le contenu de son dossier de membre.

Même lorsque nous enclenchons le processus disciplinaire après une plainte contre un membre, notre syndic ne peut contraindre le massothérapeute visé à comparaître devant notre comité de discipline, ni assigner des témoins.

Autrement dit, notre processus d’autorégulation est étouffé dans l’œuf. Il est temps que le Québec se dote d’un réel mécanisme de protection du public avec un ordre professionnel, comme c’est le cas dans bientôt six provinces (Ontario, Colombie-Britannique, etc.).

Un tel organe conserverait l’historique des plaintes et des massothérapeutes radiés provisoirement ou à vie.

Un jugement disciplinaire d’un ordre professionnel pourrait être une avenue satisfaisante pour une victime qui ne souhaite pas intenter une poursuite au criminel.

Entre une plainte à l’ordre professionnel et la poursuite criminelle, la première option est perçue comme plus facile et accessible. La constitution du dossier (informations à récolter, documents à remplir et envoyer, preuves, etc.) et les délais encourus sont moins lourds pour les victimes, comparativement à une poursuite criminelle.

Cette dernière peut aussi s’avérer très difficile sur le plan psychologique et émotionnel.

Aujourd’hui, il est difficile pour le public d’établir un lien de confiance envers les massothérapeutes. Les clients qui se dirigent vers des professionnels de la santé (infirmières, physiothérapeutes, acupuncteurs, etc.) savent qu’ils ont des recours en cas de mauvais agissements dudit professionnel.

Cette protection rassure le public dans sa relation thérapeute-client. Or, toute cette protection est grandement défaillante en massothérapie.

Certes, les services policiers et judiciaires entendront la personne plaignante, puis le processus suivra son cours, le cas échéant. Mais, sur le plan professionnel, le massothérapeute visé ne se verra pas blâmé ni sanctionné s’il quitte son association… Alors qu’avec un ordre professionnel, il y aurait au moins un rapport au dossier du massothérapeute pendant toute sa vie professionnelle, en plus d’un éventuel dossier criminel.

Les « prostituées-massothérapeutes » demandées pendant la F1

Mentionnons un autre phénomène, à savoir l’offre de services sexuels par des massothérapeutes, majoritairement des femmes. Ce phénomène nuit aussi à la réputation de l’ensemble de la profession, car il rappelle le stigmate de la « masseuse ».

Le Grand Prix de Montréal qui arrive en juin est une période où les salons de massage, déjà qualifiés de « nouveaux bordels »1 dans les pages de La Presse, sont très demandés.

Un article publié en juillet 2021 par CBC2 sur les dérives de la massothérapie dans les provinces non régulées par un ordre professionnel présentait les tendances lourdes quant à l’amalgame « sexe et massage ».

L’enquête révélait que des pratiques déviantes sont liées à la fraude des assurances. Les « prostitué(e)s-massothérapeutes » n’hésitent pas à délivrer des reçus d’assurances sous un autre intitulé pour leurs prestations sexuelles. Les associations professionnelles sont impuissantes devant ces pratiques honteuses.

Dans les provinces qui disposent d’un ordre professionnel, le problème se pose moins puisque l’ordre a le pouvoir d’imposer des sanctions et mesures disciplinaires qui sont divulguées publiquement.

Certes, il y a de la prostitution dans ces autres provinces, mais ses acteurs ne peuvent pas se présenter comme des massothérapeutes (le titre est réservé) et les assureurs ne remboursent que les thérapeutes membres en règle de l’ordre.

1. Lisez le reportage « Les lieux du vice » 2. Lisez l’article de la CBC sur les dérives de la massothérapie dans les provinces non régulées (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion