À la suite de l’éditorial d’Alexandre Sirois, paru le lundi 30 mai⁠1, qui cite un rapport récent sur la sécurité nationale canadienne, je souhaiterais apporter quelques précisions. Le rapport en effet mentionne en introduction la phrase dite « célèbre » du sénateur Raoul Dandurand prononcée devant la Société des Nations le 2 octobre 1924 : « Nous, le Canada, habitons une maison à l’épreuve du feu loin des matières inflammables. »

Les auteurs de ce rapport (dont le codirecteur francophone) font allusion à cette déclaration énoncée à mon avis totalement hors contexte et pour laquelle ils semblent accuser Dandurand de peu de sérieux, voire d’une naïveté certaine sur les enjeux de sécurité nationale. Ils attribuent à Dandurand le péché de l’isolationnisme qui aurait fait se bercer d’illusions notre pays jusqu’à… aujourd’hui et la guerre en Ukraine. Or, rien n’est plus faux.

Pour ceux et celles qui ont étudié minutieusement l’œuvre du sénateur, cette interprétation est tronquée et la réduire à une simple citation est à la fois peu respectueux de son œuvre et relève de la mauvaise foi.

Faut-il le rappeler, Dandurand, en tant que représentant canadien à la Société des Nations, était un partisan inconditionnel de l’arbitrage obligatoire des conflits et de l’imposition de sanctions contre les agresseurs. En vain, il tenta de faire adopter lors de la session de 1924 un protocole qui engageait les États à rallier cette voie – ce que plusieurs d’entre eux, dont le gouvernement canadien, étaient réfractaires à faire. Dandurand dut ainsi exprimer officiellement les hésitations du Canada à s’engager pour prendre notamment des mesures militaires contre tout agresseur éventuel. Cette prise de position explique dans le contexte politique d’alors l’allusion à la « maison à l’épreuve du feu ».

En outre, cette phrase, aux dires des historiens, reflétait une situation réelle où les pays d’Amérique du Nord ne faisaient pas face à la même réalité que les Européens confrontés aux perspectives de guerre (cela évoque ironiquement encore la situation qui prévaut actuellement avec l’Ukraine). La « maison à l’épreuve du feu » était l’occasion pour le sénateur de rappeler la situation géographique privilégiée du Canada et la nécessité pour celui-ci de s’impliquer encore davantage. D’ailleurs, Dandurand dénonça à maintes reprises, jusqu’à l’irruption de la Seconde Guerre mondiale, l’absence générale de souci pour le salut de l’Europe et particulièrement la position de désengagement (isolationniste à outrance) des États-Unis tout au long des années 1920-1930. Il fut enfin l’un des sénateurs les plus favorables à l’entrée du Canada dans la Seconde Guerre mondiale. Loin d’être isolationniste, le sénateur Dandurand était en réalité un fervent interventionniste, mais par le recours si possible à des moyens autres qu’un engagement militaire direct, tels les moyens judiciaires et ceux de la coercition.

Dire et écrire par conséquent que l’attitude de Dandurand a relevé de la complaisance est un mythe facile que certains analystes reprennent à leur convenance sans chercher à connaître réellement la richesse de la pensée de Dandurand sur les relations internationales.

1. Lisez l’éditorial d’Alexandre Sirois : « Sécurité nationale : pour en finir avec la complaisance » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion