La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en fait trop. Elle n’en fait pas assez. Elle en fait avec trop peu. Elle le fait mal. Tantôt les enfants sont retirés trop vite de leur milieu, tantôt pas assez. On ne donne pas assez de chances aux parents, mais quand le pire arrive, c’est qu’on en a donné trop. On peut comprendre pourquoi le sujet de la protection de la jeunesse soulève des passions, parce qu’elle le devrait, et à temps complet.

Il nous manque une réflexion plus large sur ce qui cause la maltraitance. On a tendance à penser que c’est un phénomène marginal, limité à des parents désœuvrés ou méchants. Une étude canadienne montre toutefois que c’est 32 % de la population adulte qui a subi de la maltraitance dans l’enfance⁠1. C’est immense. La maltraitance est un problème de société beaucoup plus profond, qui demande un changement radical d’approche et la reconnaissance qu’il nous touche tous de près ou de loin.

La population québécoise a l’impression que les dossiers du type de la petite fille de Granby sont des anomalies qui arrivent tous les six mois : c’est à ce rythme que les faits divers sur le sujet sont publiés. Mais la réalité, c’est que les cas des enfants de la DPJ sont toujours lourds, que ce dossier ne se démarquait probablement pas du volume qui passe entre les mains des intervenants, des avocats, des juges.

Il y en a des milliers au Québec, actuellement, des petites filles de Granby. Comme société, on n’a pas fait les démarches nécessaires pour les aider.

Malheureusement, les recommandations de la commission Laurent et le projet de loi 15 ne sont pas suffisants. On a lu abondamment dans la presse le mythe selon lequel l’intérêt de l’enfant ne serait pas premier dans la mouture actuelle de la loi, qu’il y aurait un principe comme celui de la primauté parentale. C’est tout simplement faux. Ce principe de primauté parentale n’a jamais été dans la loi. La loi d’avant la réforme prévoyait le maintien en milieu familial autant que possible et obligeait à ce que toutes les décisions soient prises dans l’intérêt de l’enfant. Les dernières modifications à la loi sont essentiellement cosmétiques et reprennent exactement les mêmes termes. Elles ne changeront en rien ce qui se passe là où une immense portion des décisions en protection de la jeunesse sont prises : en cour.

Le rapport de la commission Laurent s’est très peu intéressé au volet juridique de la Loi sur la protection de la jeunesse. Pour cause : c’est un domaine de droit peu étudié, avec très peu de spécialistes universitaires pour en décortiquer les tenants et aboutissants. C’est aussi un domaine peu enseigné. La grande majorité des facultés de droit québécoises n’offrent un cours de droit de la jeunesse qu’en option, enseigné par un chargé de cours, généralement une fois tous les deux ou trois ans.

Or, on confie aux juristes des personnes qui ont comme études un baccalauréat en droit sans formation supplémentaire obligatoire la responsabilité d’argumenter et de décider ce qui constitue « l’intérêt de l’enfant ».

Il manque de toute évidence un arrimage entre les spécialistes cliniques du développement de l’enfant et ceux qui le plus souvent, au bout du compte, prennent les décisions les concernant : des juges.

Au lieu de vilipender la DPJ ou d’ajouter des articles de loi redondants, il est temps de demander que soient réinvestis les lieux où l’on peut trouver des façons de faire différentes pour nos enfants : valoriser l’enfance dans les programmes universitaires en droit, en travail social, en santé, en psychologie, et créer des chantiers de travail durables non seulement avec les CIUSSS (qui, pour ce faire, doivent sortir de leur logique gestionnaire), mais aussi les institutions juridiques. Il faut mettre en place de véritables espaces interdisciplinaires pour repenser la façon dont on aborde ces enjeux. En matière de protection de la jeunesse, les réformes ne suffiront pas. Il faut une évolution permanente.

1. Tracie Afifi et al., Child abuse and mental disorders in Canada (2014), volume 186 n9, Canadian Medical Association Journal, E324

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