La Presse et Radio-Canada divulguaient récemment des constats troublants sur la situation du travail des jeunes et sur leur sécurité au travail au Québec. La situation est d’autant plus inquiétante dans un contexte pandémique, face à une pénurie de main-d’œuvre. La question que je me pose est la suivante : est-ce là seulement la pointe visible de l’iceberg ? Combien ne parlent pas ?

Le Québec n’a pas d’âge minimum d’accès à l’emploi. Les enfants de moins de 14 ans peuvent travailler avec l’accord de leurs parents. L’employeur ne doit pas imposer à un enfant un travail « disproportionné à ses capacités ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral », selon l’article 84,2 de la Loi sur les normes du travail. La même loi va également imposer certaines restrictions afin de concilier le travail avec l’obligation de fréquentation scolaire.

Bien que la Loi sur la protection de la jeunesse protège contre l’exploitation, un flou inquiétant demeure dans l’application de l’article 84,2 de la Loi sur les normes du travail. En effet, la responsabilité de protection des enfants est laissée au bon jugement des employeurs, voire des enfants dans certaines situations. Qui peut juger du caractère disproportionné d’un travail, de la complexité de l’équipement à utiliser pour accomplir les tâches ou de la facilité pour des enfants à gérer des situations comme le sexisme ou la pression de productivité ? Peut-on concevoir que la réponse puisse différer d’une personne à l’autre et d’une industrie à l’autre ? De plus, en se mettant à la place des jeunes, y a-t-il une connaissance suffisante des droits et des recours dans une situation de travail problématique, comme la menace de congédiement ? Y a-t-il une manière efficace de dénoncer une situation à une personne formée aux besoins spécifiques et aux droits des enfants ?

Il faut bien comprendre qu’on n’exerce pas un droit qu’on ne connaît pas, et un droit sans recours accessible, effectif et adapté pour le sanctionner est tout simplement symbolique pour ces jeunes.

Une approche abolitionniste qui consisterait à tout interdire n’est pas souhaitable pour deux raisons. La première est qu’elle pousse à la création d’un système parallèle non contrôlé où les abus surviennent. La deuxième est que tout type de travail n’est pas forcément nuisible au bien-être des enfants et que, ne l’oublions pas, des jeunes souhaitent pouvoir travailler et il faut les écouter. Je propose plutôt, ici, une réflexion en faveur d’une réforme respectueuse des droits des enfants.

Dans ce contexte, se référer aux normes internationales peut être utile. Il y a les conventions de l’Organisation internationale du travail. Toutefois, l’instrument qui a changé la donne, pour les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, est la Convention relative aux droits de l’enfant, qui le pose comme titulaire de droits et non objet de protection. C’est un équilibre entre la protection des enfants et leur droit d’être des acteurs participant à leur protection. Autrement dit, les jeunes peuvent éclairer les décideurs sur les recours à mettre en place pour qu’ils leur soient facilement accessibles.

Une réforme avec les jeunes et les enfants, mais quel beau pas vers un Québec digne d’eux et d’elles ! Utopiste, me direz-vous ? Non. Les outils existent, il faut simplement s’en donner les moyens.

Il n’est pas possible de passer sous silence, ici, une raison pour laquelle certains jeunes et enfants travaillent, dans un contexte de hausse du coût de la vie qui ne va pas en diminuant. Des enfants travaillent pour aider leur famille à combler des besoins aussi basiques que le logement et la nourriture. La réponse à la problématique, il me semble, relève d’un choix de société. Quelle société voulons-nous pour les enfants ? Une société qui accepte que ses enfants soient dans l’obligation – et non devant un réel choix – de travailler pour subvenir aux besoins vitaux de leur famille, ou une société avec des politiques budgétaires qui tiennent compte de leurs besoins et de leurs droits, sensibles à leur réalité, visant, avant toute chose, leur plein épanouissement, dont un des résultats permettrait de bonifier l’aide financière aux familles et aux enfants ? Je crois sincèrement à ce deuxième choix. Je crois à un Québec réellement digne de ses enfants.

Le système actuel est centré sur l’adulte. Il est pensé par des adultes pour des adultes qui travaillent. Peut-on imaginer une ligne de communication consacrée aux enfants qui travaillent, des formations spécifiques pour les jeunes et les employeurs, mais aussi des règles encore plus strictes de protection et d’admission à l’emploi selon les types de travail ? La réponse est complexe, car le phénomène l’est tout autant. Ce sujet remet aussi de l’avant la mise en place d’un mécanisme de type « défenseur des enfants » avec un mandat large et qui peut intervenir et demander des comptes sur les sujets qui concernent les enfants, et ce, avec les enfants.

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