Sentant l’appel du terrain, la députée Paule Robitaille a repris son ancien calepin de journaliste pour aller documenter la guerre en Ukraine, un pays qu’elle a souvent visité alors qu’elle vivait en Russie. Pour ce troisième texte, elle est allée à la rencontre de Dan Bilak, son ancien collègue de classe à Montréal qui est devenu le porte-étendard du gouvernement ukrainien à l’étranger.

Dan Bilak me donne rendez-vous devant la résidence de l’ambassadeur du Canada qu’il connaît bien. Je ne l’ai pas vu depuis la faculté de droit de McGill, en avril 1986. J’ai le souvenir d’un jeune homme rieur, une bête sociale aux fêtes toujours réussies, qui peut converser autant du dernier match du Canadien contre les Maple Leafs que d’un concert de Bach. Brillant, il était promu à un avenir certain. Spécialiste du droit de la finance, il a ouvert les bureaux d’un grand bureau d’avocats canadien à Kyiv au début de l’indépendance, en 1991. C’était l’occasion d’un retour aux racines, l’Ukraine étant le pays de ses ancêtres. Il y a trouvé l’amour, il a trouvé un pays. Trente ans plus tard, il y est toujours.

Il m’emmène dans un restaurant criméen. « La Crimée, cette péninsule que la Russie a chopée à l’Ukraine en 2014 », prend-il soin de rappeler. Le menu est d’inspiration tatare, la minorité turque chassée par Staline de la Crimée, revenue au fil des décennies et maintenant, pour la majorité, exilée depuis l’occupation russe.

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Dan Bilak

« On prend l’assiette Gengis Khan ? Ça te va ? Ça devrait suffire pour nous deux. » Et me vient alors l’image de ce Gengis Khan, empereur mongol qui entama avec ses soldats l’invasion sanglante des territoires slaves il y a des siècles, cette Horde d’or qui subjugua ses habitants, laissant une trace indélébile dans ce coin du monde. Je ne peux m’empêcher de penser à cette présente invasion aussi sanglante, à cette barbarie perpétrée par l’armée russe.

Ce carnage, cette folie, on ne l’imaginait pas aussi démesuré, raconte Dan Bilak, mais on savait que le conflit du Donbass n’allait pas demeurer au statu quo.

Alors, l’Ukraine modernisait son armée, relique soviétique, pour la mettre au diapason de l’Ouest et acceptait toutes les invitations d’entraînement avec des pays de l’OTAN.

Toutefois, l’automne dernier, même au sein du gouvernement ukrainien, plusieurs ne croyaient pas à l’invasion russe. Elle allait contre toute logique. Une folie qui affaiblirait la Russie et son armée et fragiliserait le pouvoir en place. De toute évidence, Poutine a ses raisons que la raison ignore. Il a envahi. De là la réaction lente puis fulgurante de l’armée ukrainienne.

Dan, lui, l’avait vue venir. Depuis le 1er janvier dernier, l’avocat en finance devenu consultant pour le gouvernement a troqué son complet cravate contre le treillis. Il a contribué à mettre sur pied dans sa banlieue de Kyiv une unité de défense territoriale, une réserve militaire. Lui qui ne connaissait rien à la stratégie militaire en est devenu féru. Il a déniché un officier d’expérience et a embrigadé ses voisins dans un camp d’entraînement musclé. Il en est maintenant un membre actif.

La jeune soixantaine, pendant que ses vieux copains entament des retraites dans le confort de leur maison du lac Memphrémagog ou de la baie Géorgienne, il a décidé de servir la patrie.

CNN, FOX News, CBC, CTV, sur toutes les chaînes en anglais, il se fait le porte-voix du gouvernement ukrainien. Il décrit le conflit actuel comme un match contre Goliath. « La stratégie russe est celle de la terre brûlée. On pulvérise bâtiments et civils. On se bat à l’artillerie lourde comme durant la Seconde Guerre mondiale. Les Russes nous balancent missiles et obus. Et on réplique de la même façon. Un match de gladiateurs. Une guerre d’attrition. Et c’est à qui tombera le premier. Ils ont l’avantage de la quantité de matériel et d’hommes. On a la force des gens libres qui défendent leur pays. »

Le front au Donbass l’inquiète. On évalue que 100 soldats ukrainiens par jour tombent au combat. Le bilan n’est guère mieux du côté russe qui aurait perdu autant d’hommes en trois mois qu’en neuf ans de guerre en Afghanistan. On se souvient que la défaite de l’Union soviétique en Afghanistan a contribué à l’écroulement de l’URSS. Quel serait l’impact d’une défaite russe en Ukraine ? « Donnez-nous ce dont on a besoin et on fera la guerre pour vous. Vladimir Poutine et son régime tomberont ! »

Tout à coup, il regarde son téléphone presque ému : « Biden vient de signer un chèque de 40 milliards à l’Ukraine, ça fait 60 milliards en tout. C’est gros, mais on a besoin de plus encore. » Le Canada, lui, a déjà donné un demi-milliard de dollars et cette semaine s’engage à envoyer 20 000 obus d’artillerie. Mais combien d’obus utilise-t-on par jour ? L’État ukrainien est devenu boulimique. « On n’a pas de temps à perdre. On réclame rapidement des lance-roquettes multiples, des chars, des avions, etc. »

L’Europe décourage Dan Bilak. « L’Europe finance la guerre de Poutine. Les achats de pétrole et de gaz, c’est 1 milliard par jour. » L’Ukraine souhaite un blocus total et l’entrée dans l’Union européenne.

Et tout cela s’arrêtera quand, Dan ?

Ce joueur, cet habile négociateur, répond fermement : « Aussi longtemps qu’ils ne nous redonneront pas le Donbass et la Crimée. Aucun compromis. Jusqu’à la victoire. »

Et l’arme nucléaire ?

« Poutine n’utilisera pas l’arme de destruction massive parce que ça voudrait dire une escalade du conflit, l’entrée en guerre de l’OTAN et il sait qu’il n’a aucune chance. » Mais Poutine n’a-t-il pas démontré qu’il défie toute logique ? « Poutine est un bluffeur. Tout compromis est signe de faiblesse. Il faut que l’Ouest ait le courage de lui tenir tête. »

Une heure plus tard, nous avions avalé toute l’immense assiette Gengis Khan. Signe sans doute que tout est possible.

Je laisse mon ami, admirative devant sa détermination à tout rompre et convaincue qu’il tiendra le coup.

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