Le code australien de négociation des médias d’information (News Media Bargaining Code – NMBC) représente la référence mondiale en ce sens qu’il permet aux entreprises médiatiques de négocier sur un pied d’égalité, et donc sur le plan commercial, avec les plateformes numériques dominantes.

Je ne prétends pas être un commentateur impartial du NMBC. J’étais président de la Commission australienne de la concurrence et de la consommation (Australian Competition and Consumer Commission – ACCC) lorsque celle-ci a conçu le NMBC et a ensuite été mandatée par le gouvernement australien pour le mettre en œuvre.

Selon mes observations, le NMBC a permis aux entreprises de presse de toutes les tailles d’obtenir plus de 200 millions de dollars par année de la part de Google et Facebook.

En outre, ces médias estiment qu’ils peuvent négocier d’égal à égal avec les plateformes dominantes, ce qui apparaissait peu envisageable avant l’adoption de la législation.

L’enquête de l’ACCC sur les plateformes numériques a clairement démontré que le journalisme d’intérêt public engendre des externalités positives considérables, puisque les avantages pour la société vont au-delà de ceux qui sont prêts à payer pour y accéder. En effet, ce type de journalisme oblige les géants du web à rendre des comptes, constitue un recueil d’archives essentiel, offre un forum d’idées et peut militer pour des objectifs sociaux plus larges. Quand vous bénéficiez de davantage de ce journalisme, tous les membres de la société en profitent dans une certaine mesure, qu’ils y aient accès ou non.

Déséquilibre

Nous avons constaté un déséquilibre au niveau du pouvoir de négociation des entreprises de médias d’information face aux grandes plateformes numériques. Google et Facebook disposent d’un pouvoir de marché ou de négociation substantiel, que ce soit dans les marchés de la recherche, les médias sociaux ou la publicité par affichage. Dans leurs relations avec les entreprises de presse, les plateformes sont considérées comme des « partenaires commerciaux incontournables ».

L’enquête a révélé que si les plateformes avaient besoin des médias d’information en général pour attirer et retenir l’attention des utilisateurs sur leurs services, elles n’avaient pas besoin du contenu d’une entreprise médiatique en particulier. En revanche, les entreprises de médias d’information avaient besoin de Google et de Facebook pour attirer du trafic sur leurs sites. Les références vers les actualités fournies par Google et Facebook étaient effectivement des services incontournables, ce qui leur conférait un pouvoir de négociation important.

L’enquête a démontré que sans déséquilibre du pouvoir de négociation, les plateformes et les entreprises de médias auraient négocié la valeur générée grâce à l’utilisation de leur contenu de nouvelles par les plateformes, et le renvoi par les plateformes du trafic d’audience vers les entreprises de médias d’actualité, et auraient conclu un accord commercial.

Cela n’a toutefois pas été possible, car les plateformes disposaient d’un pouvoir de négociation important et pouvaient donc fixer unilatéralement les conditions.

Cela a été clairement démontré par le refus des plateformes d’entamer des négociations ; elles ont refusé d’accepter de payer pour le contenu dont elles bénéficiaient. Elles ont affirmé, sans preuve irréfutable, qu’elles fournissaient plus d’avantages aux entreprises de presse qu’elles n’en recevaient en retour, et que, selon elles, le dossier était clos.

Pour l’enquête, cet important déséquilibre du pouvoir de négociation représentait une défaillance manifeste du marché à laquelle il fallait remédier. S’il existe de nombreuses défaillances du marché dans notre économie, et qu’il n’est pas nécessaire de toutes les corriger, celle-ci était prépondérante compte tenu de l’importance du journalisme. La diminution de la rémunération du journalisme d’intérêt public causée par l’important déséquilibre du pouvoir de négociation a conduit à une baisse de l’offre qui nuit à notre société.

Dispositions clés

Trois dispositions clés sont au cœur du NMBC. Sans chacune d’elles, le NMBC ne pourrait pas atteindre son objectif.

Tout d’abord, des négociations de bonne foi doivent avoir lieu entre les plateformes et les entreprises de médias d’information concernant le paiement du contenu et la gestion du trafic.

Si, après une certaine période, ces négociations n’aboutissent pas, il est possible de recourir à l’arbitrage, qui sera contraignant pour les parties. Un groupe d’arbitres sera alors mis en place par l’Australian Communications and Media Authority, une organisation similaire au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Les négociations sans recours ultime à l’arbitrage seraient vouées à l’échec. En effet, la défaillance fondamentale du marché, à savoir le déséquilibre du pouvoir de négociation, ne serait pas traitée sans ce recours à l’arbitrage. Il est donc important de noter que chaque entreprise de presse enregistrée au NMBC bénéficie du droit de négocier et, si les négociations n’aboutissent pas, de demander un arbitrage. L’arbitrage devait être de type « offre finale » ou « baseball ». L’arbitrage de l’offre finale (AOF) est une forme d’arbitrage qui limite les décisions possibles de l’arbitre.

Deuxièmement, il doit y avoir une disposition de non-différenciation. Cela signifie que les plateformes ne sont pas autorisées à remplacer le contenu des entreprises médiatiques enregistrées dans le cadre du NMBC par du contenu provenant d’entreprises de presse non enregistrées, ce qui inclut les sources d’information internationales.

Troisièmement, le NMBC a permis la négociation collective par les entreprises de médias. Il s’agissait d’une disposition facile à inclure, car le droit australien de la concurrence le permet déjà, tel que mentionné au préalable.

Par exemple, les producteurs laitiers demandent souvent à l’ACCC l’autorisation de négocier collectivement avec les grands transformateurs afin de rendre la négociation plus efficace et d’obtenir un résultat plus approprié. La négociation collective a été jugée nécessaire parce qu’il y aurait de nombreuses petites entreprises de médias d’information qui peineraient à négocier efficacement par elles-mêmes. Fait amusant, Facebook a fait valoir que cette disposition facilitait les cartels, invoquant une interprétation technique plutôt que de se concentrer sur ce que le droit de la concurrence cherche vraiment à accomplir. Permettre à des entreprises ayant, par exemple, moins de 500 000 $ de revenus de s’unir pour négocier avec une entreprise évaluée à plus d’un billion de dollars encouragerait la concurrence ; cela ne pourrait pas lui nuire.

Le NMBC s’est avéré un succès sur tous les plans. Je me réjouis du fait que le Canada cherche à suivre l’exemple de celui-ci en déposant le projet de loi C-18 (loi sur les nouvelles en ligne) afin de faciliter les négociations commerciales entre les plateformes dominantes et les entreprises de presse.

* Rod Sims a été président de la Commission australienne de la concurrence et de la consommation, de 2011 à 2022.

À lire demain : « Négociation entre éditeurs et plateformes numériques »

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion