En avril dernier, 975 nouvelles infirmières ont réussi leur examen d’entrée au droit de pratique et d’autres se joindront aux équipes soignantes après leur examen en décembre. De plus, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a délivré, pour l’année 2020-2021, 3629 nouveaux permis d’exercice. Dans un contexte de rareté de ressources, il serait tentant de confier à cette relève une charge de travail et des responsabilités qui excèdent leurs capacités. Cependant, plusieurs questions se posent pour mieux protéger ces précieuses ressources et bien accueillir cette relève dans le réseau de la santé.

Comment leur offrir les conditions de travail garantes d’une réelle qualité de vie afin qu’elles aiment la profession et souhaitent y demeurer ? Comment maximiser l’utilisation de leurs compétences dans leur offre de soins pour que la population du Québec puisse bénéficier enfin de leur expertise ? Comment les motiver, non seulement à participer, mais aussi à contribuer activement aux innovations et recherches dont les soins et services de santé ont tant besoin ? Comment leur donner le goût d’investir dans le développement d’une carrière en soins infirmiers ? Voilà quelques-uns des nombreux éléments de la réflexion pour lesquels les directions des soins infirmiers des établissements et la direction nationale des soins et services infirmiers devraient non seulement être parties prenantes, mais aussi détenir « le pouvoir » de mettre en œuvre les meilleures pratiques facilitant l’intégration et la rétention au travail ?

Il ne s’agit pas uniquement d’une question de main-d’œuvre et de ressources humaines, mais bien d’infirmières et d’infirmiers qui doivent être traités comme des professionnels à part entière et faire partie des solutions avec leur direction de soins infirmiers.

Dans la présentation du plan santé, le ministre Christian Dubé a eu la sagesse de reconnaître que les solutions sont connues, mais qu’elles ne sont pas appliquées et qu’il faut tirer profit des expériences passées, des rapports d’experts et des meilleures pratiques. Or, rappelons que depuis des décennies, des experts en soins infirmiers, des cliniciens, des gestionnaires et des chercheurs ont participé à de nombreux comités, groupes de travail et projets-pilotes, mandatés par le ministère de la Santé. Ces experts ont produit des analyses et de multiples recommandations face à des problèmes criants du réseau, notamment en ce qui a trait à la planification des effectifs en soins infirmiers, à l’organisation du travail, à la conciliation travail-famille, à l’attraction et à la rétention de ces professionnels.

Au-delà de l’argument de la pénurie

Ces travaux, qui ont coûté cher, ont été peu diffusés, le plus souvent tablettés, édulcorés ou mis sous embargo, laissant ainsi de côté des solutions qui s’imposent depuis déjà trop longtemps. Par exemple, l’argument de la pénurie perdure même si le véritable problème est lié à la rétention et à l’attraction des infirmières. Cette soi-disant pénurie devient alors une justification pour prioriser des solutions à court terme et freiner toute innovation ou tout changement appropriés. Récemment, le succès mitigé du programme de primes visant à recruter des infirmières reflète encore le fait que les mesures incitatives ne prennent en compte ni les attentes connues des infirmières ni les données de recherche disponibles relatives à l’attraction et à la conciliation travail-famille.

Comment expliquer que des pratiques connues et reconnues comme efficaces par la communauté scientifique en sciences infirmières trouvent si peu d’écho auprès des décideurs et qu’il persiste autant de résistance ? Il semble y avoir une grande difficulté à reconnaître la complémentarité de deux domaines d’expertise, d’une part celui de la gestion de la main-d’œuvre et d’autre part celui de l’administration des services infirmiers et de l’organisation du travail dans un contexte spécifique d’une pratique professionnelle en soins infirmiers. Reconnaître et mettre à profit cette complémentarité des champs d’expertise doit faire partie d’un changement de culture organisationnelle souhaité dans le Plan santé.

Les changements qui s’amorcent dans l’autogestion des horaires sont un pas dans la bonne direction pour redonner plus d’autonomie et de pouvoir aux infirmières, mais ce n’est pas suffisant, il faut aller beaucoup plus loin.

En effet, les infirmières représentent 49 % de l’ensemble du personnel soignant et les équipes soignantes en soins infirmiers et cardiorespiratoires (infirmières, infirmières auxiliaires, préposés) constituant les équipes soignantes forment 29 % de l’ensemble des effectifs du réseau de la santé. La crise actuelle indique clairement qu’il est nécessaire de revoir la structure de gouvernance pour permettre aux directrices de soins infirmiers de même qu’à la directrice nationale d’assumer leurs responsabilités et d’exercer un leadership stratégique en matière de planification, d’organisation et d’évaluation des ressources de soins infirmiers. De plus, nous croyons que pour assurer pleinement ce leadership, le positionnement de la directrice nationale des soins et services infirmiers au ministère de la Santé devrait être revu et rehaussé au niveau d’une direction générale adjointe.

Des études montrent que la structure organisationnelle a des impacts significatifs sur la qualité de l’environnement de travail des gestionnaires, impacts qui se répercutent sur l’évolution des pratiques professionnelles, la rétention au travail et la qualité des soins. La crise actuelle, qui se prépare de longue date, est la preuve que le modèle managérial centralisateur, qui offre peu de pouvoir aux gestionnaires en soins infirmiers et aux infirmières, n’est pas adapté à des organisations humaines et complexes. Ce modèle a plutôt des effets négatifs sur la motivation au travail, le sentiment d’appartenance et le respect ; il ne permet pas non plus d’utiliser pleinement les compétences des infirmières.

En somme, plusieurs actions doivent être entreprises à court terme, dont plusieurs sont urgentes et pourraient se faire en s’inspirant des meilleures pratiques dans un climat de concertation et de complémentarité.

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