Au Québec, environ 50 000 personnes n’ont pas accès à une couverture d’assurance maladie en raison de leur statut d’immigration précaire, selon une estimation de l’Institut universitaire SHERPA.

Parmi elles se trouvent des femmes comme Paula, pour qui la grossesse a tourné au cauchemar. Paula vit, travaille, paie des impôts et des taxes au Québec, mais elle est en attente d’un parrainage, ce qui ne lui permet pas d’avoir accès aux soins couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). La joie des premiers moments avec son bébé s’est vite transformée en angoisse. Comment payer pour chaque visite à la clinique ou aux urgences lorsqu’on vit avec le salaire minimum et qu’on a déjà une famille à nourrir ? Comment réunir 10 000 $ pour le dépôt exigé avant l’accouchement ? Comment s’acquitter des dettes liées à un accouchement facturé trois fois plus cher – jusqu’à 20 000 $ et même plus ?

Reconnaissant cette situation critique à la suite de l’adoption du projet de loi no 83, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a mandaté un groupe de travail interministériel dirigé par la RAMQ afin d’identifier des pistes de solutions pour les femmes enceintes sans couverture de santé.

Or, le droit à la santé des femmes ne saurait se limiter au seul moment où elles sont enceintes. Elles doivent aussi avoir accès aux autres services essentiels de santé sexuelle et reproductive dont elles ont besoin tout au long de leur vie : planification familiale, interruption de grossesse, violences basées sur le genre, prévention, dépistage et traitement des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et cancers du système reproductif.

Chaque année, près de 300 femmes migrantes – enceintes ou pas – n’ayant pas de couverture de santé ni les moyens de payer pour des soins se présentent dans une situation critique à la clinique de Médecins du monde à Montréal. Ce fut le cas d’Angelina, âgée de 54 ans et originaire de la Grenade, qui vivait et travaillait au Canada depuis 30 ans, sans statut, comme aide domestique. En 2019, elle a reçu un diagnostic de cancer du col de l’utérus avancé, qui l’a emportée deux ans plus tard. Elle serait encore en vie si elle avait pu recevoir des soins à temps.

Ces femmes sont donc encore plus précarisées. Elles portent un fardeau économique et social disproportionné qui a des conséquences sur d’autres déterminants de leur santé, tels que l’accès au logement, la saine alimentation et l’inclusion sociale, en plus d’avoir des répercussions sur la santé publique. Par exemple, risque de développement et de propagation de maladies infectieuses et des ITSS.

Pour cette raison, Médecins du monde et une coalition d’organisations en santé ont formulé des recommandations dans un mémoire⁠1 transmis au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et à la RAMQ le 17 mars dernier, afin de démontrer que toutes les femmes devraient avoir accès aux services de santé liés à la grossesse, mais aussi aux autres services essentiels de santé sexuelle et reproductive.

Une question économique, de santé publique et de solidarité

Contrairement à plusieurs États américains et pays européens, le Québec laisse de côté de nombreuses femmes qui travaillent et vivent ici. Leur refuser l’accès à la santé n’a aucun sens d’un point de vue médical, économique et de santé publique.

Garantir la couverture des régimes publics d’assurance maladie et médicaments du Québec pour toutes les femmes qui y vivent, en ce qui concerne les services essentiels de santé sexuelle et reproductive, peut atténuer la pression sur le système de santé.

D’une part, en allégeant le travail des équipes soignantes, et d’autre part, en évitant des prises en charge tardives et donc plus lourdes et plus coûteuses. Voilà une solution humaine et efficace qui devrait s’inscrire dans le plan de refonte du système de santé, et ce, d’ici les prochaines élections.

L’an dernier, le gouvernement du Québec a fait preuve de courage politique en donnant accès à la santé à tous les enfants vivant au Québec. Comme professionnels engagés pour le droit à la santé, nous espérons que le gouvernement poursuivra son leadership en garantissant l’accès aux services essentiels de santé sexuelle et reproductive à chaque femme vivant au Québec, quel que soit son statut d’immigration. C’est un droit fondamental dont la mise en œuvre bénéficiera clairement à l’ensemble de la société.

1. Consultez le mémoire de Médecins du monde

* Cosignataires, médecins bénévoles : Noémie Johnson, Loree Tamanaha, Nicole Seben, Charles Giroux, My Lan Graziani, Marie-Claude Goulet, Minh Thi Nguyen, Vanessa Bombay, Louis-Christophe Juteau, Anne-Sophie Thommeret-Carrière, Suzanne De Blois, Agnès Cailhol, Clairélaine Ouellet-Plamondon, Marie-Hélène Marchand, Christine Arsenault, Audrey Cournoyer-Roy, Carole Balthazard, Marie-Claude Moore, Maude Bernard, Élise Gonthier, Myrill Solaski, Sara Vadnais-Dionne, Sophie Poissant, Chiraz Chaalala, Camille Gérin, Lucie Maynard, Samir Shaheen-Hussain, Caroline Grégoire, Eve Blais, Delphine Boury-Simoes, Juan Carlos Luis Chirgwin

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