La section Débats est heureuse d’accueillir un nouveau collaborateur régulier qui portera son regard sur la pauvreté et l’exclusion. À la barre de Centraide du Grand Montréal, Claude Pinard est un acteur central du milieu communautaire qui saura nous faire découvrir le rôle et les enjeux de cette myriade de groupes qui luttent pour les plus vulnérables de la société. Bienvenue dans nos pages!

Les effets des deux dernières années, couplés à la pénurie de la main-d’œuvre et à l’inflation, créent une pression insoutenable sur le secteur communautaire.

J’ai amorcé, il y a quelques semaines, une tournée des organismes communautaires soutenus par Centraide du Grand Montréal. Mon emploi du temps est donc rempli d’une dizaine de visites par semaine dans les quartiers de Montréal, de Laval et de la Rive-Sud. Cette tournée me fait le plus grand bien : je me retrouve sur le terrain, enfin, après tous ces mois, pour ne pas dire ces années, d’incertitude. Et surtout, je m’entretiens avec les véritables tisserands du tissu social du Grand Montréal.

Aller à la rencontre des travailleuses et travailleurs ainsi que des bénévoles qui œuvrent dans le secteur communautaire nourrit l’esprit et est porteur d’espoir. Ce sont des citoyens investis dans leur travail, mais surtout dévoués aux populations qu’ils desservent. Voir l’engagement de toutes et de tous à l’œuvre est remarquable. Il est surtout impressionnant de constater l’immense courage de ces travailleuses et travailleurs de l’ombre. Si les nouvelles sur le plan de la santé publique semblent s’améliorer et que le mot d’ordre est « d’apprendre à vivre avec le virus », le milieu communautaire doit aussi composer et vivre avec les effets de la crise sanitaire.

Déjà à bout de souffle, le secteur communautaire n’a pas eu le loisir de prendre une pause pour refaire le plein, car il a dû s’adapter à une nouvelle réalité et trop de gens dépendent de ses services au quotidien.

Le printemps qui s’installe amène une série de nouvelles particulièrement préoccupantes pour le secteur communautaire. Celui-ci est aux prises avec la même pénurie de main-d’œuvre que les secteurs public et privé. Avec quelques différences, toutefois : le défi consiste à pourvoir des postes à 17 $ ou 18 $ l’heure, sans possibilités de croissance et souvent sans programmes d’assurance collective, entre autres. Ce n’est pas étonnant que les organismes communautaires aient tant de difficulté à recruter et à retenir leurs employés : la pression exercée sur eux est immense, tandis que la fatigue se fait toujours sentir et, surtout, que la demande pour leurs services est en forte croissance.

La semaine dernière, j’étais en visite dans un organisme de la Rive-Sud qui s’attaque à l’insécurité alimentaire. L’équipe de direction me racontait que, depuis le début de l’année, la demande hebdomadaire pour le dépannage alimentaire croissait de semaine en semaine. De nouvelles personnes demandent de l’aide : des travailleuses et des travailleurs qui s’appauvrissent, ainsi que de plus en plus de familles. Ce phénomène est exacerbé par l’inflation galopante constatée dans les six derniers mois.

Dans le cadre d’une autre visite d’un organisme du Centre-Sud de Montréal, on m’a raconté l’histoire d’une femme qui consacrait plus de 70 % de son revenu net à se loger.

Convenons qu’il n’en reste pas beaucoup pour des besoins de base essentiels comme l’alimentation.

Récemment, Centraide du Grand Montréal a mandaté la firme de sondage Léger afin de réaliser une étude sur les dépenses d’habitation des résidants de la région métropolitaine de Montréal. Dans cette étude, on constate que 15 % des répondants consacrent plus de la moitié de leur revenu à se loger et que 49 % d’entre eux ont subi, au cours de l’année, une augmentation de cette dépense. Pour compenser cette hausse, 66 % de ceux ayant subi une hausse de leur dépense de logement affirment avoir réduit leurs dépenses en général. De ce nombre, 37 % ont déjà commencé à diminuer leurs dépenses d’épicerie.

Cela vient confirmer ce que l’organisme de la Rive-Sud que j’ai visité me confiait : les besoins en dépannage alimentaire augmentent.

Selon la même étude, 51 % des locataires sondés ont un niveau d’anxiété élevé par rapport à leur dépense de logement. Ce dernier chiffre met en lumière une autre conséquence pernicieuse des deux dernières années : le cumul des effets de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Aux enjeux de logement et à la hausse du prix du panier d’épicerie s’ajoutent des effets comme la responsabilité familiale accrue due aux nombreuses absences des enfants à l’école ou à la garderie en raison des cas d’éclosion, un emploi précaire ne permettant pas de prendre les congés souhaités, et le manque d’accessibilité aux ressources en santé mentale. La situation est encore plus difficile pour certains groupes marginalisés, qui n’ont carrément pas accès à certaines ressources à cause de barrières systémiques.

Nous pouvons donc parler de tempête parfaite, et ce, tant pour le secteur communautaire que pour les personnes en situation de vulnérabilité. Il ne faut pas oublier que le développement économique et le développement social vont de pair : ils sont l’envers et l’endroit de la même médaille. Nous vivons dans une société riche de son tissu social, riche de son économie et riche, également, de sa capacité à s’entraider.

Collectivement, nous devons avoir le courage d’élever la conversation sur la pauvreté et l’exclusion sociale pour cibler leurs causes et jeter ainsi les bases d’une société juste, équitable et égalitaire.

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