La semaine dernière a eu lieu le premier débat entre les aspirants chefs du Parti conservateur du Canada (PCC). À la lumière des échanges particulièrement acrimonieux entre Pierre Poilievre et Jean Charest, sans compter l’absence de principe de Patrick Brown à cet évènement, on peut s’attendre à un véritable spectacle politique dans les prochains mois, dont le prochain acte se déroulera ce soir même à Edmonton. Or, il est tout sauf certain que les conservateurs en ressortiront plus forts et plus unis que sous le leadership, pourtant chambranlant, d’Erin O’Toole.

Le(s) Parti(s) conservateur(s) du Canada

Le conservatisme au Canada a plusieurs visages. Le PCC d’aujourd’hui est un compromis entre, d’une part, des forces dites réformistes (qui prônent un conservatisme social et chrétien, avec une dose de populisme) concentrées dans l’ouest du pays et, d’autre part, les red tories (les progressistes-conservateurs qui défendent un équilibre entre État fort et libre marché), bien implantés dans le centre et l’est du Canada.

La coalition conservatrice qu’est parvenu à faire tenir ensemble l’ancien premier ministre Stephen Harper ne semble plus tenir qu’à un fil. Plusieurs se demandent même si le mariage de raison pourrait potentiellement se solder en un divorce, tant le parti est divisé. Harper avait pourtant réussi à trouver un certain équilibre entre convictions idéologiques et recherche pragmatique du pouvoir.

Mais à l’heure actuelle, on se demande bien si le PCC n’est autre chose qu’un appareil électoral hétéroclite, maintenu en vie artificiellement par la seule ambition de reprendre le pouvoir.

Depuis son départ en 2015, les successeurs de Harper ont certes préservé les liens fragiles qui relient les deux ailes principales du PCC. Toutefois, réchauffer les banquettes de l’opposition depuis 2015 crée beaucoup de tensions. Cela rend de moins en moins acceptables, pour le groupe réformiste, plusieurs des compromis consentis avec les red tories.

On assiste peut-être à la tentative de la dernière chance de maintenir la famille unie sous un même toit.

De conviction et de responsabilité

Dans Le savant et le politique, Max Weber distingue entre les éthiques de la conviction et de la responsabilité. Selon le sociologue allemand, il s’agit de deux approches différentes qui guident l’action à entreprendre face aux enjeux qui se présentent à nous. En bref, l’éthique de la conviction est une forme de déontologie qui impose d’agir selon des principes moraux bien arrêtés. Quant à elle, l’éthique de la responsabilité renverse la logique : on recherche les moyens les plus efficaces pour atteindre un but donné.

Le principal dilemme qui se pose aux militants du PCC est de choisir un candidat qui soit en mesure de trouver un juste équilibre entre ces approches, en proposant un discours politique qui satisfasse les troupes et une stratégie crédible pour remporter les élections. Comme le reconnaissait lui-même Weber, une politique authentique implique nécessairement un équilibre judicieux entre ces deux éthiques.

Le duel Poilievre-Charest

Toutes choses étant égales par ailleurs, la véritable course au leadership devrait se jouer entre Pierre Poilievre et Jean Charest. Pour l’instant, le premier semble ne répondre qu’à l’éthique de la conviction, et c’est précisément ce qui excite sa base partisane, à qui l’on propose de suivre ses penchants… tout en l’éloignant d’une chance réelle de prendre le pouvoir. Pour sa part, Charest encourage les membres à tirer les conclusions des échecs de 2019 et de 2021, pour choisir cette fois un chef et un discours modérés, qui puissent mener le PCC à former le gouvernement.

Or, si l’on ne peut douter que Poilievre soit un homme de convictions, ses positions sont-elles authentiquement conservatrices ? C’est d’ailleurs ce que se demandait la candidate au leadership associée à l’aile la plus sociale et religieuse du PCC, Leslyn Lewis, lors du débat.

Poilievre aura beau rappeler qu’il est originaire du bastion réformiste de l’Ouest, il est avant tout un libertarien, plutôt qu’un défenseur des valeurs du conservatisme social.

Comme son ancien collègue Maxime Bernier, son principal objectif est de faire du Canada « la nation la plus libre au monde ». Par là, il veut essentiellement limiter la capacité d’action de l’État à réguler la vie économique et politique, au profit d’une logique de responsabilité individuelle.

Jean Charest a aussi du pain sur la planche. Son passif d’ancien premier ministre québécois et d’ancien chef du Parti libéral du Québec, son positionnement ambigu en matière de développement des énergies fossiles et de lutte contre les changements climatiques et, bien sûr, la perception qu’il a dirigé un gouvernement corrompu en laisseront plusieurs tièdes.

Lui aussi orateur hors pair, Charest a choisi de miser essentiellement sur une éthique de la responsabilité, guidée d’abord et avant tout par un pragmatisme et par l’ambition de devenir premier ministre du Canada.

Pour gagner les prochaines élections, toutefois, il lui importe d’abord de remporter la course au leadership. Pour ce faire, il doit non seulement convaincre les militants actuels – dont une bonne partie semble acquise à Poilievre – que son approche est la bonne, mais il lui faut surtout attirer de nouveaux membres, plus proche de ses positions.

Quant à Poilievre, s’il a de très bonnes chances de s’imposer dans le microcosme conservateur, il découvrira à nouveau la leçon des élections perdues de 2004, 2019 et 2021 : la grande majorité de l’électorat canadien loge quelque part au centre de l’échiquier politique.

Entre-temps, Justin Trudeau doit se frotter les mains. Le spectacle de la division chez les conservateurs lui donne plusieurs munitions pour la suite des choses.

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