Le ministre Christian Dubé a lancé la mouture 2022 du système de santé, qu’il espère à la mode, du moins jusqu’au scrutin. Le premier ministre François Legault le désigne comme l’homme de la situation. Par contre, il y a raison de se demander si la direction d’un tel ministère devrait être dépendante d’une seule personne pour assurer son « avenir ». En fait, la direction de la santé devrait relever de principes fondateurs.

Je me permets de revenir sur le mot refondation. Pour moi, cela fait appel à une définition d’objectifs, de mission, sur l’installation des fondements sur lesquels on érige le reste. À son origine, la Loi sur les services de santé et les services sociaux avait inscrit comme mission : « Ajouter de la vie, ajouter de la santé à la vie, ajouter du bien-être à la santé. » Est-ce encore d’actualité, à la mode ?

Ajouter de la vie

La quantité de vie, c’est mesurable. En espérance de vie, en survie associée avec le traitement de pathologies comme le cancer et les maladies cardiaques, etc. L’espérance de vie au Québec est de 83 ans, soit dans la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 82 ans, mais légèrement inférieure à celle de plusieurs pays d’Europe occidentale et d’Asie. Connaissons-nous les raisons de cet écart ? Et avons-nous en place des programmes pour voir à la réduction de celui-ci ?

Pour ma part, je considère que les propositions de la refondation Dubé ne permettent pas de dégager les voies qui permettraient d’atteindre cet objectif.

Certes, il est clairement question d’obtenir plus de données, mais leur utilisation doit viser la détermination de lacunes et l’adaptation du réseau pour les combler. Ainsi, viser la mesure de la performance du réseau de soins et de santé public. Et surtout appliquer des mesures scientifiquement prouvées ou qui devront l’être par un suivi rigoureux.

Ajouter de la santé

Est-ce qu’être en santé est mesurable ? Il existe des échelles permettant de mesurer la quantité de symptômes et leur intensité pour de multiples pathologies ou traitements. Dans le jargon médical, on parle aussi de plus en plus de PROs, patient reported outcomes. Il est donc possible d’estimer si les interventions de diagnostic, de traitement ont un effet positif ou négatif sur chaque patient et sur les plans collectif et populationnel. Une fois de plus, une rigueur scientifique assure que des programmes pour mesurer et moduler positivement l’expérience des patients avec la maladie sont adéquatement administrés et conséquemment justifiés. Mais cela demande des ressources significatives qui ne sont pas annoncées dans les propositions gouvernementales.

Ajouter du bien-être

Le bien-être est un sentiment, une impression que l’on peut aussi mesurer en médecine avec des échelles de qualité de vie. Pour justifier économiquement et socialement des mesures, des traitements, on pourra estimer les QALYs (quality adjusted life-years). En termes succincts, on estime la quantité de vie de bonne qualité offerte par l’extension de la vie attribuée à un traitement par exemple, et le coût qui y est associé. La science permet donc de proposer des mesures permettant la progression du bien-être de la population.

Je me permets ce long préambule pour revenir sur la refondation qui revient peu sur ces objectifs, sur la mission de la santé. Est-ce qu’on augmente vie, santé et bien-être en étant suivi par un médecin de famille ou en permettant des soins de proximité ? Rien n’est moins sûr. De grandes études ont démontré que les programmes de dépistage centralisés, comme celui qui a été instauré en cancer du sein au Québec depuis 20 ans, ont plus d’incidence que l’action individuelle du médecin qui offre un suivi longitudinal aux patients. De même, la centralisation de bon nombre d’activités médicales est associée à une plus grande productivité et de meilleurs résultats.

La décentralisation prônée dans la refondation ne semble pas prioriser ces faits scientifiques. Certes, il faut créer des pôles régionaux de soins forts et efficaces, avec la latitude pour ajuster une offre de services, mais la définition de l’offre de soins devrait être centralisée dans des organismes provinciaux indépendants de toute influence politique.

À titre d’exemple, les patients aux prises avec un cancer de la vessie, testiculaire, sarcome, de la gorge ou autres cancers relativement peu fréquents ont tout avantage à être évalués et traités par des équipes stables avec démonstration d’expertise et de résultats, et suivant des guides de pratique basés sur l’évidence. Dans chaque cas, il est prouvé que les chances de survie sont moins bonnes lorsque les décisions de traitement sont prises et appliquées par des équipes qui n’ont pas un nombre suffisant de références pour assurer la compétence du médecin et de son équipe.

Par ailleurs, des initiatives assurant le bien-être à domicile, que ce soit pour des soins de longue durée ou de palliation, profitent de démonstrations scientifiques qui méritent un virage. Je réfère notamment aux initiatives de la Dre Geneviève Dechêne, à Verdun, qui a implanté à force de sueur et de sang des services de proximité pour des patients en fin de vie, libérant des lits d’hôpital et assurant sans compromis une qualité de vie à domicile.

Il y a donc beaucoup à dire sur la refondation et ces quelques lignes ne font que soulever des questions scientifiques en lien avec la validité de certaines des mesures proposées. Par contre, il revient aux dirigeants d’indiquer comment les 50 propositions s’inscrivent dans la mission du ministère de la Santé ou en quoi elles la modifient. Et peut-être est-il temps de revoir cette mission. L’approbation de l’aide médicale à mourir (AMM) s’inscrit en marge alors qu’elle vise le bien-être sans visée d’augmentation de la vie ou la santé. L’AMM a secoué le monde médical et continue à le faire avec des inclusions plus larges des individus admissibles. Il est peut-être aussi temps de secouer le ministère de la Santé et des Services sociaux en osant demander si l’on axe l’activité pour viser d’abord santé et bien-être au détriment de la vie…

« La santé est la chose essentielle après la moralité », a dit Thomas Jefferson. En notre temps, à titre de société, notre morale devrait être d’offrir la santé au plus grand nombre. À ce titre, il faut discuter les propositions de refondation, en dehors d’un argument politique improductif, pour définir ensemble ce que devrait réaliser le système de santé pour les Québécois.

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