La liberté de l’enseignement, aussi appelée liberté académique, est la pierre angulaire de la vie universitaire. Au fil des siècles, cette liberté a permis aux érudits de remettre en cause les préceptes conventionnels sans crainte de représailles ou de censure. Elle a joué un rôle fondamental dans l’avancement du savoir.

Il va sans dire que la liberté universitaire mérite d’être protégée contre toute atteinte. Mais cette protection ne peut prendre la forme d’une loi qui prévoit l’intervention de l’État dans les politiques de l’université.

En avril, la ministre de l’Éducation supérieure a déposé le projet de loi 32, intitulé Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire. Présenté comme une mesure visant à assurer la liberté de parole sur nos campus, le projet de loi confère au ministre l’autorité d’intervenir dans la structure de gouvernance des universités, ce qui risque de mettre en jeu la qualité de l’éducation supérieure au Québec.

Reconnaissons tout d’abord que le gouvernement actuel a su sauvegarder les intérêts des universités tout au long de la pandémie. En maintenant un financement stable pour les établissements postsecondaires, ce qui n’a pas été fait dans toutes les provinces, le gouvernement a permis aux étudiants et aux enseignants de réussir malgré de grandes difficultés.

Toutefois, en présentant le projet de loi 32, le gouvernement semble faire fi des gestes qu’il doit faire pour appuyer la mission principale des universités.

Avant le dépôt du projet de loi, des dirigeants d’universités de partout au Québec ont prié le gouvernement de ne pas légiférer en la matière. Ils ont reconnu, à juste titre, l’incompatibilité de l’intervention de l’État dans la gouvernance universitaire avec la liberté universitaire. Cette liberté repose sur l’autonomie des établissements, autonomie à laquelle le caractère arbitraire de ce projet de loi porte directement atteinte.

Le gouvernement a néanmoins soumis un projet de loi dont les deux objectifs sont irréconciliables. D’une part, le projet viserait à protéger la liberté de l’enseignement en exigeant de toutes les universités du Québec qu’elles adoptent une politique à cette fin. D’autre part, il permettrait au ministre d’obliger une université à intégrer à sa politique tout élément qu’il juge nécessaire s’il estime la politique insatisfaisante. Une telle ingérence dans la gouvernance des universités est sans précédent, et contrevient aux principes fondamentaux qui régissent les rapports entre les gouvernements et les établissements d’enseignement supérieur.

Une conception erronée

Le projet de loi rate encore sa cible dans sa conception, erronée, de la liberté universitaire. Cette liberté émane d’une expertise qui se base sur une expérience de recherche claire et sur une reconnaissance académique par les pairs, ce dont le projet de loi ne tient pas compte. Des déclarations provenant de partout sur la planète, y compris celles que la ministre a prises en exemple pour appuyer le projet de loi 32, restreignent la liberté universitaire aux personnes qui enseignent et mènent des recherches dans des établissements d’enseignement supérieur. Or, le projet de loi définit la liberté académique comme étant « le droit de toute personne » qui contribue à la mission d’une université. Cette définition, qui s’apparente davantage à celle de la liberté d’expression, ne cadre pas avec l’objectif prioritaire de la liberté d’enseignement et risque d’en diluer la portée.

Alors que la liberté d’expression s’applique à toute personne dans la sphère publique, la liberté universitaire se limite quant à elle aux membres d’une communauté universitaire exerçant des activités de recherche et d’enseignement.

Enfin, n’oublions pas ce qui a motivé le projet de loi 32. Cette initiative a découlé de préoccupations quant à la prétendue culture woke des universités québécoises. Ce discours sous-entend que le militantisme social, notamment en faveur de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, étouffe la liberté de parole et force les enseignants à se censurer. Il laisse entrevoir, par ailleurs, l’application unidimensionnelle de cette éventuelle loi, qui définirait les menaces à la liberté universitaire non pas en fonction du risque qu’elles posent à la recherche et à l’enseignement, mais plutôt en fonction de leur orientation culturelle et politique.

Il est vrai que de nombreux professeurs sont aujourd’hui plus soucieux de l’effet que pourrait produire un sujet sensible ou un mot offensant sur la dynamique en classe et sur l’expérience de chaque étudiant. Cette sensibilité ne doit pourtant pas donner lieu à des restrictions à l’égard de la matière enseignée, aussi difficile ou controversée soit-elle.

Il est également vrai, cependant, que nous avons le devoir, comme enseignants, de faire des choix réfléchis et responsables quant aux connaissances à transmettre et à la façon de les transmettre, et ces choix doivent être axés sur l’expérience d’apprentissage de nos étudiants, y compris ceux qui sont issus de groupes longtemps exclus des universités ou qui y sont sous-représentés. Le projet de loi 32 présente ce devoir, pourtant essentiel au bon enseignement, comme un fardeau excessif. Il nous dit que « toute personne » peut prendre part aux activités universitaires de quelconque manière, « sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale ». Ce droit est assujetti aux exigences en matière de normes d’éthique et de rigueur scientifique, mais le projet de loi part du principe qu’en ce qui a trait à l’expression, tout est permis. Étant donné le déséquilibre de pouvoir entre étudiants et enseignants, cette approche pourrait inhiber la critique éclairée chez les étudiants, voire nuire au développement de la capacité analytique que nous nous employons précisément à leur inculquer.

Le gouvernement s’est donné un programme législatif ambitieux. En juin, quand la session parlementaire prendra fin, avant les élections, certains projets de loi mourront inévitablement au feuilleton. Le projet de loi 32 devrait être de ceux-là.

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