Un sentiment de peur m’habite, une peur qui me dépasse. Une peur ancestrale, vécue et transmise par des générations de femmes. La peur de perdre : perdre ma dignité et ma liberté.

Je suis une femme, et j’ai peur. Non seulement pour moi, mais également pour celles qui sont et celles qui seront. Pour toutes les femmes et les jeunes femmes.

J’ai lu Beauvoir, Ernaux, Huston et Arcan. Et bien d’autres encore. Je croyais les luttes gagnées, l’ennemi vaincu, en partie du moins. Libre de jouir de notre corps, dans son intégralité et dans la dignité, y compris la possibilité de refuser une maternité non souhaitée. Sans justification, sans examen médical approfondi, sans jugement. Peut-être suis-je simplement trop naïve ? C’est le propre des idéalistes…

Je suis une femme et je suis en colère.

Elles sont des centaines de milliers à s’être battues, à avoir scandé haut et fort, contre tous les vents et toutes les marées, la fin du patriarcat, de la violence et du contrôle des corps féminins.

La fin d’un aveuglement volontaire. Ces femmes se sont battues pour que cesse cette violence perpétrée à l’égard d’une intimité profonde, enfouie au cœur du corps des femmes, sacrée, mais trop souvent bafouée. Rappelons que le droit des femmes à disposer de leur propre corps et à en jouir, d’où émane le droit au libre-choix, est fondamental au sein d’une société égalitaire. Ce cadre légal permet aux femmes de jouir de leur sexualité en y excluant la maternité, d’accéder à la liberté d’une sexualité plus entière en ayant la possibilité de mettre un terme à une grossesse non souhaitée, en toute sécurité physique et affective.

Car, oui, n’en déplaise à certains, depuis les débuts de l’humanité, les femmes ont contrôlé leur fécondité. Par l’usage de plantes, de l’allaitement prolongé, par une bonne connaissance de leur cycle menstruel ou d’autres techniques plus ou moins risquées. Les femmes ont recours à l’avortement et continueront à y avoir recours, qu’il soit légal ou non, parfois au détriment de leur santé et de leur vie.

Mère et non-mère

Et si nous retournions à notre mythologie ? Au tabou du refus de la maternité ou de la non-mère. Ce tabou qui renvoie aux archétypes judéo-chrétiens, à nos grands classiques : la dualité entre Marie et Madeleine. La mère et la putain. Toujours ce même paradoxe, cette lutte entre Marie, la mère de toutes les mères, et Marie-Madeleine, la putain/la non-mère. Cette dernière, éprise de liberté, est une figure dangereuse, voire menaçante pour l’homme et la survie de l’espèce. Est-ce cette chimère qui nous hante ?

Peut-être est-ce une explication simpliste ? Je n’ai pas la prétention d’avoir la réponse, mais j’ai peur et la peur me pousse à vouloir comprendre et expliquer. C’est un réflexe de survie. Car j’ai peur, je vous le dis, et je ne suis pas seule…

Ainsi, je souhaite qu’on se permette, collectivement, de réhabiliter l’expérience de l’avortement au cœur même des histoires vécues par les femmes, dans toute leur complexité, leur sensibilité et leur singularité. Et ce, au-delà des débats politiques et idéologiques. Pour, enfin et toujours, être un sujet à part entière.

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