Au Québec, nous nous sommes libérés de l’Église catholique et souhaitons ardemment un État laïque, une séparation claire entre les pouvoirs étatiques et religieux. Appuyée par une majorité de la population québécoise, la loi 21 répond précisément à ce besoin collectif.

Mais, question de rassembler néanmoins des croyants, de galvaniser des troupes au besoin, de créer une autre forme de tissu social, d’adhésion et même un véritable culte au Québec, ça prend forcément un autre liant, une autre sorte de religion, une croyance sportive, payante et tricolore. Et quoi de mieux qu’un sport national comme le hockey ?

Ça tombe drôlement bien, puisque notre premier ministre, François Legault, tripe très fort sur le hockey, plus précisément sur le Canadien de Montréal et tous ses héros d’un passé glorieux.

M. Legault excelle également en prévisions et en statistiques : c’est « un maniaque de pools de hockey depuis longtemps ». Oui, notre premier ministre connaît son hockey.1

En novembre dernier, qui plus est, François Legault a présenté un projet très spécial au Centre Bell, un « comité d’experts pour le développement de notre sport national ».2 Il a même déclaré, lors de sa conférence de presse, en faire une « mission personnelle », souhaitant, à sa retraite de la politique, avoir « aidé à ce qu’il y ait plus de jeunes qui jouent au hockey [au Québec], autant chez les hommes que chez les femmes », espérant voir « plus de Québécois dans la Ligue nationale et aux Jeux olympiques aussi ».

« Pour moi, le hockey, c’est plus qu’un sport. Au Québec, ça fait partie de notre fierté », s’était-il empressé d’ajouter, torse bombé. « Bon, on le sait, là. Nos grands héros québécois… quand on parle de Maurice Richard, Guy Lafleur… Ce sont des joueurs de hockey. […] Ça fait que le peuple québécois est fier d’être Québécois. On l’a vu avec la pandémie. Pourquoi les Québécois ont-ils plus écouté les consignes qu’ailleurs ? Pourquoi les Québécois se sont plus fait vacciner qu’ailleurs ? C’est parce qu’on se serre les coudes quand ça va pas bien. »3

Et ça, « se serrer les coudes » en politique, en pleine année électorale de surcroît, c’est de l’or en barre, comme on dit. Ça crée un peuple « docile », « obéissant » qui sait voter « du bon bord ».

Guy Lafleur a eu droit cette semaine à des funérailles nationales. C’est très bien. Comme tout grand saint de la glorieuse patinoire, le départ du Démon blond devait être salué par tous ses partisans, incluant le premier ministre en personne.

Combien de femmes ont eu droit à cet honneur ? Très peu – lire l’article « Les femmes, grandes oubliées des funérailles nationales québécoises ».4 Pas même la grande Michèle Lalonde, auteure du célèbre poème Speak White, morte l’été dernier.

Politiquement parlant, et même psychologiquement parlant, vous ne croyez pas que ce poème a eu autant d’impact sur la psyché et la mémoire collectives, la fierté de tout un peuple et notre identité nationale que bien des matchs de hockey ? Ç’a l’air que non, du moins aux yeux de M. Legault, et c’est là un biais fort malheureux.

Et à le regarder aller ainsi, patiner fièrement jusqu’aux prochaines élections, le vent dans les voiles comme dans les cheveux du Démon blond, il semble clair qu’il ne faut pas compter sur le premier ministre François Legault pour marquer des points pour les femmes, ni même pour les arts ou la culture en général. Comme bon nombre de ses amis et collègues du Salon bleu, François Legault voit la vie en bleu-blanc-rouge, notre religion sportive.

1. Lisez l’article « Le premier ministre connaît son hockey » 2. Lisez l’article « Plusieurs anciens joueurs sur le comité lancé par Québec » 3. Voyez l’annonce du premier ministre François Legault 4. Lisez l’article « Les femmes, grandes oubliées des funérailles nationales québécoises » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion