Mourir, cela n’est rien. Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir, oh vieillir… chantait Jacques Brel1. J’ai célébré tout récemment mon 65anniversaire de naissance, je suis officiellement devenue une aînée. J’aurai droit à des rabais et peut-être à quelques privilèges… mais lesquels au juste, dans cette société qui ne considère pas encore tout à fait le vieillissement comme un avantage ?

Même si la pandémie de COVID-19 a eu un certain impact sur les consciences quant au sort réservé aux aînés et aînées qui vieillissent en CHSLD ou dans d’autres types de résidences pour personnes en perte d’autonomie, notre rapport au vieillissement a-t-il vraiment changé ?

Dans une société qui continue de valoriser l’équation : apparence physique, performance, rendement et succès, bien vieillir est une responsabilité individuelle qui demande de jongler avec plusieurs facteurs, parmi lesquels la chance et l’hérédité demeurent (pour l’instant) indépendants de notre volonté.

Ne pas paraître son âge est un compliment que l’on aspire à mériter. Le recevoir sans qu’on s’y attende procure un soulagement, une réassurance quant à notre valeur, un sentiment d’encore faire partie du jeu.

Par ailleurs, mal vieillir, sans raison valable pour un œil extérieur, attire des commentaires malveillants ou des jugements intempestifs. Mal vieillir peut représenter une calamité (« il ou elle vieillit mal » est une phrase que l’on entend encore très souvent), à moins qu’une maladie puisse légitimer que l’on soit victime et non responsable de notre déchéance.

Je ressens moi aussi cette pression pour bien vieillir, mais je rêve d’une transformation de nos structures sociales qui génèrerait une reconnaissance élargie des aînés et aînées et non limitée au seul respect de leur droit de vivre et de mourir dans la dignité. À l’instar de communautés autochtones2 dont nous devrions nous inspirer urgemment il me semble, les aînés et aînées seraient reconnus et reconnues pour leur rôle clé dans la transmission des savoirs et l’enrichissement de la société, non seulement pour ce qui concerne les traditions et les coutumes, mais au sein même de nos structures d’enseignement et de travail.

Je rêve d’une société qui mettrait à profit, au quotidien et de manière concrète dans nos interactions, l’expérience vécue et les savoirs (savoir-faire et savoir-être) des aînés et aînées.

Combien de personnes regrettent de ne pas avoir discuté avec leurs aînés, durant le temps où ils et elles pouvaient encore communiquer, discuter et échanger sur les choses de la vie, les plus banales comme les plus existentielles ? Dis-moi, maman, papa, grand-mère, grand-père, comment as-tu traversé les épreuves qui ont jonché ton chemin, comment as-tu fait face aux obstacles et aux échecs inévitables qui surgissent au cours de notre vie d’humain ? Qu’est-ce qui t’a aidé ou aidée, qu’est-ce qui t’a nui… ? Comment es-tu retombé ou retombée sur tes pieds, sur quoi, sur qui as-tu pu compter pour te relever ou ne pas tomber… dans le désespoir, la dépression ou le désenchantement ? Qu’est-ce qui t’as inspiré ou inspirée ou redonné espoir… ?

Vieillir peut être un privilège ou devenir un calvaire, et cela ne dépend pas seulement de la personne qui prend de l’âge. La transmission de l’expérience vécue et la prise en compte du savoir expérientiel3 participent de la cohésion sociale et renforce la compétence individuelle et collective à s’adapter et à faire face à l’adversité, en tissant et retissant du sens de notre expérience d’humain sur cette terre, de génération en génération.

1. Paroliers : Gérard Jouannest/Jacques Brel/Marcel Azzola

2. Karl S. Hele, « Les aînés autochtones au Canada » (2021), L’encyclopédie canadienne.

2. Consultez l’article

3. Pour en savoir plus sur l’origine et l’utilisation de l’expression savoir expérientiel :

Consultez le texte « La fabrique des savoirs expérientiels : généalogie de la notion, jalons définitionnels et descriptions en situation » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion