Dans une des toutes dernières images du dernier épisode de la série District 31, alors que l’on voit les héros de la série projetés dans un futur apaisé, loin des crimes qui ont fait leur quotidien de policiers pendant toutes ces années, l’ex-commandant Daniel Chiasson est à la chasse – on le sait, si on a suivi cette série assez longtemps, Chiasson est un chasseur.

Lors de cette ultime apparition, on le voit lever sa carabine et viser. Sans surprise, lorsqu’un bel orignal apparaît dans le collimateur, le chasseur abaisse son arme et replace le cran de sécurité.

Je dis « sans surprise » car, dès qu’a débuté cette scène, avant même qu’on nous ait montré l’animal, je savais que le commandant retiendrait son tir.

Depuis au moins Deer Hunter, en 1978, la graciation de la proie par le chasseur est devenue un archétype de l’apaisement au cinéma. Il s’agit en fait d’une métaphore efficace (facile mais efficace) d’une paix retrouvée après un voyage à travers les violences humaines.

De manière plus générale, la mort effective d’animaux à la chasse est un immense tabou cinématographique. L’origine de ce phénomène peut être retracée dans Bambi, le dessin animé de Walt Disney, qui provoqua à sa sortie, en 1942, un véritable choc : la mort de la mère de Bambi, tuée par la balle d’un chasseur, provoqua une telle réaction que les images les plus graphiques de la version originale furent retirées. Plus de six décennies plus tard, le film figurait tout de même dans le top 25 des films d’horreur établi par Time Magazine !

40 000 morts violentes à 20 ans

Curieusement, s’il est pratiquement impossible de voir des animaux se faire occire à l’écran, il n’en est pas de même pour les humains. D’ailleurs, dans le même épisode précité de District 31, on assiste à l’exécution d’un motard par balle à bout portant. Cela ne provoquera aucun tollé des téléspectateurs (les plus sensibles ayant été mis en garde au début de l’émission que des scènes de violence étaient au menu). Si par contre le commandant Chiasson avait abattu son orignal, les réseaux sociaux ne dérougiraient pas…

Le moine bouddhiste Matthieu Ricard fait souvent remarquer – pour s’en désoler – qu’à l’âge de 20 ans, un humain aura assisté en moyenne à 40 000 morts violentes. Mais pour voir un gibier tomber sous une balle, il faut fréquenter les médias sociaux des groupes de chasseurs.

Ce décalage entre la représentation de la mort humaine et son acceptabilité sociale et celles de la mort animale est paradoxal.

Car, pensons-y, l’immense majorité d’entre nous subiraient un choc psychologique brutal pouvant conduire à des symptômes post-traumatiques durables s’il voyait « en vrai » un autre humain se faire abattre sous ses yeux. Par contraste, la vue d’une mort animale, dans un abattoir ou à la chasse, pourrait en choquer plusieurs, mais risquerait peu de changer le cours de leur vie.

Dans la série, le bon commandant Chiasson a tué de sang froid le méchant Phaneuf à bout portant. Il gracie néanmoins un orignal. Il demeure fondamentalement sympathique !

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