Savoir quand quitter une fête est une forme d’art. Ce n’est gravé nulle part, ce n’est pas la devise d’un pays où tout le monde va au lit tôt ni confirmé par la science. Malgré tout, j’y crois mordicus.

Il y a deux semaines, ICI Première annonçait que cette 11e saison de la très aimée émission Plus on est de fous, plus on lit serait la dernière – un choix de l’animatrice Marie-Louise Arsenault et de la réalisatrice, Marie-France Lemaine. Après la tristesse, l’annonce a d’abord déclenché – chez les nombreux fans de ce must quotidien – un affolement. Il camouflait un amour profond, une loyauté inébranlable et, en partie, une certaine confusion. Pourquoi mettre fin à une émission qui, comme le confirmaient les plus récents chiffres, n’a jamais été aussi populaire ?

Tout ça m’a fait penser à Jerry Seinfeld. En 1998, l’humoriste mettait fin à son émission de télévision éponyme, l’une des plus emblématiques de la décennie. Au moment du dernier épisode de Seinfeld, l’émission était la plus écoutée aux États-Unis et rapportait 200 millions de dollars américains par année à NBC, le diffuseur. Jerry Seinfeld, lui, faisait 1 million par épisode, en plus de ses importants revenus en tant que cocréateur de la série. Pour le convaincre de rester, NBC a offert à Jerry Seinfeld de quintupler ce qu’il touchait par épisode. Il a refusé. Pourquoi partir, alors ? Jerry Seinfeld a répondu à cette question plusieurs fois et la réponse a toujours été la même : jouissant d’un sentiment d’accomplissement, il avait le choix entre partir et s’assurer que l’émission resterait légendaire ou faire plus d’argent. Il a réussi à quand même faire les deux. Des années après la fin de Seinfeld en 1998, de futées négociations ont fait de Jerry Seinfeld et de ses acolytes à la création et à la réalisation de son émission des gens très riches. La plus récente entente de licence de rediffusion a été accordée à Netflix l’année dernière, pour la somme de 500 millions. Cinq cents, pas cinquante. Ce n’est pas une coquille.

Je suis admiratrice de ceux qui savent quand partir et quand appuyer sur pause, ou sur stop. Admiratrice, parce que j’imagine le déchirement qui a dû accompagner la réflexion, puis la décision. Surtout à une époque où le dépassement et la surperformance sont non seulement célébrés, ils sont recherchés.

La popularité croissante des montres intelligentes et la prolifération d’applications d’assistance sportive, par exemple, en témoignent. À notre poignet, en tout temps, nous surveillons nos performances : le nombre de pas par jour, la vitesse de notre footing du matin ou la force de nos ischiojambiers. À notre poignet, ces gadgets sont devenus des extensions de nos corps avec l’objectif d’aller un peu plus haut, un peu plus loin. Encore un pas, encore un saut.

Ces mots, empruntés du répertoire de Jean-Pierre Ferland et que j’ai appliqués à l’athlétisme personnel, rappellent que souvent, le sport est un microcosme. La constante quête d’un peu plus haut, d’un peu plus loin se retrouve aussi dans le monde corporatif, nourrie par la multiplication des échelons dans les organigrammes d’entreprises. Toujours plus d’outils pour mesurer le rendement, toujours à la course d’un titre de plus, toujours une promotion au coin de l’œil.

Et si le sport peut nous servir de miroir, je constate depuis un certain moment une évolution dans notre perception de la performance et du bien-être.

Andrew Luck est un ancien quart-arrière des Colts d’Indianapolis. En 2019, alors âgé de seulement 29 ans, constamment blessé et ayant perdu le plaisir de jouer, Luck annonçait qu’il prenait sa retraite de la Ligue nationale de football américain, laissant ainsi sur la table les 58 millions de dollars américains qui restaient à son contrat. Lors de son dernier match, des fans l’ont hué et ont brûlé son maillot, plusieurs le traitant d’ingrat et d’enfant gâté.

Aujourd’hui, ce genre de décision me paraît mieux accepté et beaucoup plus applaudi. Cette acceptabilité reflète peut-être que cet épuisement des athlètes, ce souhait de ne plus toujours vouloir être à bout de souffle et le désir de faire autre chose sont aussi les nôtres.

En mars dernier, l’Australienne Ashleigh Barty annonçait sa retraite du tennis, elle qui était première raquette au monde et qui, à 25 ans, est encore bien jeune. Le même mois, la boisson énergisante Powerade – dont l’identité est basée sur la performance – lançait une nouvelle campagne publicitaire. Pause Is Power met en vedettes différentes stars du monde du sport. Parmi elles, la grande gymnaste Simone Biles qui, lors des récents Jeux olympiques de Tokyo, avait décidé de se retirer de certaines compétitions pour préserver son bien-être mental. Un scénario qui rappelait celui vu à Wimbledon au même moment, alors que la joueuse Naomi Osaka annonçait son retrait du prestigieux tournoi de tennis, pour la même raison.

Ce progrès me rassure. Avoir de l’ambition et vouloir réussir ne sont pas incompatibles avec le flair de savoir quand partir et prendre une pause, au contraire. La marque Powerade a raison : c’est très puissant.

Voyez la publicité de Powerade Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion