Pour certains observateurs, les mesures proposées par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, dans son récent budget nous ont épargné le cataclysme anticipé. La propension des libéraux à surtaxer et dépenser, juxtaposée aux nombreux engagements enchâssés dans leur programme électoral de l’automne dernier laissaient craindre le pire. Et, comme si ce n’était pas suffisant, la gauche prenait encore plus de galon à la suite de l’entente conclue entre les libéraux et les néo-démocrates pour maintenir Justin Trudeau au pouvoir.

Les Anglais ont une expression qui résume parfaitement l’approche des libéraux dans la préparation de budgets – spray and pray (vaporisez et priez). Le nombre de nouveaux programmes étonne chaque fois, tout comme le contraste entre ceux tournés vers l’économie et les autres. Les programmes en appui à la croissance économique ou l’aide aux entreprises restent trop souvent imprécis ou nécessitent des « consultations » avec des « experts » avant que les sommes ne soient décaissées.

C’est rarement le cas avec les autres programmes. Je pourrais citer en exemple le nouveau régime d’assurance dentaire. Les modalités, claires et limpides, rassurent les parents que tout sera en place pour la prochaine visite de leurs enfants chez les dentistes cet été.

L’absence de détails déçoit

Une lecture de certaines des nouvelles mesures touchant l’appui aux entreprises oblige à conclure que les investissements proposés ne se concrétiseront pas bientôt – et très certainement pas en 2022. C’est le cas du fonds de croissance du Canada dans lequel le gouvernement injectera 15 milliards de dollars pour propulser principalement la nouvelle économie – surtout la transition climatique. La somme impressionne, mais l’absence de détails déçoit, tout comme l’omission de liens avec d’autres programmes déjà existants.

Un peu comme un orchestre qui joue sans chef – on entend les sons, mais on ne reconnaît pas la musique.

De plus, comme le fonds opérera comme entité indépendante, il faudra que le gouvernement recrute du personnel qualifié dans un contexte d’emploi plus défavorable, surtout dans un secteur pointu comme celui du fonds d’investissement.

La création d’une nouvelle agence d’innovation et d’investissement – qui traitera elle aussi à distance avec le gouvernement – laisse franchement pantois. Son budget (1 milliard de dollars sur cinq ans) est modeste quand on se rend compte que le Canada figure bon dernier du G7 pour l’investissement en recherche et développement. Mais pourquoi donc créer une « agence fédérale indépendante » ? Les 30 derniers budgets fédéraux ont probablement consacré des dizaines de pages à la recherche et l’innovation. La machine fédérale a dû consulter tous les experts sur la planète.

Le gouvernement ne doit pas se déresponsabiliser de l’importance de faire des choix en R et D. Tout comme pour le fonds du Canada, le temps fou que l’appareil fédéral perdra à trouver l’équipe de direction pour gérer cette agence me décourage.

Et si l’indépendance de cette agence et celle du fonds du Canada étaient essentielles, pourquoi ne pas les avoir jumelés ? Les métiers sont un tantinet différents, mais il n’existe aucune raison de bâtir deux infrastructures distinctes.

Un retour sur l’investissement militaire

J’applaudis sans réserve la décision d’augmenter nos dépenses militaires à la hauteur de 8 milliards sur cinq ans. La gauche naïve, qui a trop souvent immobilisé nos élus sur ce sujet prend acte qu’une marguerite et Give peace a chance de John Lennon en boucle ne suffiront pas à décourager des tyrans comme Vladimir Poutine. Cette mesure doit toutefois se traduire en gains pour les entreprises canadiennes dans le secteur de l’aérospatiale et de la défense.

Bien que les entreprises canadiennes n’aient rien à envier à leurs pairs étrangers, le ministère de la Défense a toujours eu un biais pour les fournisseurs américains. C’était vrai quand j’étais à Ottawa et la tendance lourde demeure. Plusieurs autres pays n’hésitent pas à faire profiter leurs entreprises des dépenses de nature militaire. Ils les voient – avec raison – comme une politique saine de développement économique. Les Américains, bien sûr – mais les Britanniques, les Italiens et les Français aussi.

Le Canada est le boy-scout du groupe – nos fonctionnaires préfèrent tenir des processus très larges et déconnectés de la réalité économique canadienne et les élus hésitent à les rappeler à l’ordre.

J’ai les mêmes préoccupations relatives à la récente décision d’Ottawa d’engager des pourparlers exclusifs avec Lockheed Martin pour l’acquisition de 88 appareils de chasse F-35. L’enveloppe consacrée à cet achat (19 milliards de dollars) doit absolument garantir des milliers d’emplois au Canada. Le gouvernement a des obligations de résultat face à l’industrie aérospatiale canadienne.

Je n’accuserai pas le gouvernement d’avoir sous-dépensé pour la promotion de l’économie. Je suis surtout critique sur l’absence de rigueur – un effort diffus plutôt que chirurgical. Un peu comme si cet élément de la planification budgétaire importait moins que la santé buccale des Canadiens.

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