Tout commence à l’automne 2020 lorsqu’une professeure de l’Université d’Ottawa prononce le fameux mot commençant par « N » en classe. Celle-ci voulait expliquer comment des communautés se réapproprient des expressions insultantes. Cette partie de son cours surgit sur la place publique par l’entremise des réseaux sociaux.

La professeure fut suspendue injustement de son travail par un rectorat dépassé. Devenue une affaire d’État, le premier ministre du Québec, François Legault, la récupéra politiquement, prenant d’emblée fait et cause pour la liberté académique.

L’histoire est faite d’improvisations. L’anecdote académique ontarienne du mot commençant par « N », qui aurait dû rester en classe en Ontario, a finalement donné naissance à un projet de loi sur la liberté académique au Québec (projet de loi no 32) après avoir fait un détour tout à fait surréaliste.

Merci à cette professeure qui, prononçant un mot imprononçable, a fait évoluer la législation québécoise. Un expert n’aurait pas fait mieux. Car tout cela adonne bien, la liberté académique bat de l’aile dans le réseau universitaire québécois.

Définitions

Le projet de loi 32 définit la liberté académique comme « le droit de toute personne d’exercer librement sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, une activité par laquelle elle contribue, […] à l’accomplissement de la mission » de son université.

Le projet de loi ajoute que ce droit comprend : « La liberté d’enseigner, de faire de la recherche, de critiquer la société… » et de participer à la vie communautaire. Après avoir formé un conseil de surveillance de la liberté académique, une université doit nommer un responsable chargé de la mise en œuvre d’une politique proliberté.

La liberté académique s’actualise à l’interne ou à l’externe de l’université. Elle doit respecter le cadre légal en vigueur. Un professeur ne saurait, par ses déclarations publiques, nuire aux affaires de son employeur tenant compte de son obligation de loyauté (Article 2088 du Code civil).

Il doit aussi, dans sa critique de la société, d’entreprises ou de citoyens, éviter le libelle diffamatoire (Article 298 du Code criminel). S’il est poursuivi en justice, il appartient alors à la direction de son université de le défendre. Est-ce qu’elle le fera ? Normalement oui.

Le Québec révèle un certain puritanisme langagier qui remonte loin dans le passé. Le 30 octobre 1995, Jacques Parizeau, amer d’avoir perdu le référendum sur l’indépendance du Québec, provoqua une crise nationale en attribuant une partie du résultat référendaire au vote ethnique.

Le 14 décembre 2000, sous le gouvernement de Lucien Bouchard, l’Assemblée nationale du Québec a pris un vote unanime, condamnant le journaliste Yves Michaud. Ce dernier avait mentionné dans une conversation privée reprise en ondes que les Juifs n’étaient pas le seul peuple dans le monde à avoir souffert. Pourtant, rien n’était illégal dans ce qui précède. Parizeau autant que Michaud étaient dans leur droit.

En modération

S’ajoutent des sujets tabous. Par exemple, nul n’oserait montrer les caricatures du prophète Mahomet, de l’affaire médiatisée Charlie Hebdo, à des fins pédagogiques, en tenant compte qu’un professeur français l’ayant fait fut décapité en octobre 2020. Actuellement, l’énumération exhaustive des sujets culturellement contraints dépasserait le seuil de l’imagination la plus fertile. La censure n’a jamais été autant présente dans un Québec où les élites valorisent un langage politiquement correct.

Donc, il faut plus qu’avoir des droits. Il faut être capable de les appliquer. Malgré le « go » de François Legault, les professeurs d’université seraient avisés, en matière de liberté académique, d’adopter le slogan de la Société des alcools du Québec : la modération a bien meilleur goût !

Quant à la liberté d’opinion proprement dite, elle est déjà affirmée clairement à la Charte des droits et libertés de la personne (article 3). Mais cette liberté, dans son volet académique, mérite d’être affirmée au moment où les professeurs d’université sont devenus trop silencieux, notamment à cause d’une structure hiérarchique qui n’encourage pas suffisamment la liberté d’opinion.

En plus de la liberté d’expression verbale ou non verbale, les professeurs d’université doivent pouvoir exercer une plus grande liberté décisionnelle dans la gestion du parcours des étudiants ou dans la vie universitaire. Ainsi, si le projet de loi sur la liberté académique contribue à faire davantage de l’université une affaire de professeurs et d’étudiants, sa contribution sera remarquable.

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