L’internet et les réseaux sociaux ont transformé radicalement notre rapport au temps et à l’espace, en faisant de nous des citoyens du monde, des résidants de la planète Terre. Malgré nos différences et spécificités culturelles, « l’étranger » d’hier est aujourd’hui notre semblable, par son humanité et par la proximité que permet notre monde d’interconnexion.

Nous pouvons développer avec d’autres citoyens du monde une compassion et une empathie semblables à celles éprouvées envers un voisin. Cela peut être extraordinairement enrichissant, mais aussi très perturbant lorsque nous devenons des témoins « en direct » de leur désolation, de la destruction de leurs biens et même de leur mort. L’impuissance ressentie devant l’expression de leur sentiment d’abandon peut devenir intolérable, au point d’affecter notre propre condition psychologique.

Ce n’est pas la première fois que nos écrans sont envahis par les images diffusées des massacres et de la destruction qui fait chavirer l’existence humaine dans le chaos et l’horreur. À nouveau, depuis plus d’un mois, nous sommes témoins de crimes de guerre qui, sans distinction d’âge, privent des êtres humains de leurs racines, de leurs proches, de leur vie, de leur droit d’être secourus et de mourir dans la dignité. Mais parmi tous les conflits armés qui sévissent sur notre planète, celui de la guerre entre la Russie et l’Ukraine est sans doute le plus médiatisé actuellement. Le président Zelensky y est sans doute pour quelque chose, car il n’a cessé d’interpeller la conscience de la communauté internationale et notre responsabilité d’agir, par l’entremise de ses capsules vidéo et de ses échanges en direct avec les représentants des États membres de l’OTAN.

Malaise et responsabilité

Moi aussi, je considère que Volodymyr Zelensky est extrêmement courageux, mais j’éprouve un immense malaise à voir des assemblées le féliciter tout en le laissant risquer sa vie en continuant de crier à nos écrans la détresse des citoyens ukrainiens qui se sentent abandonnés.

Je ne peux m’empêcher de penser au général Roméo Dallaire, abandonné par la communauté internationale lors du conflit au Rwanda. En accord avec ses valeurs, il avait pris le risque de rester sur place, au péril de sa carrière, de sa vie et de sa santé ; le risque de serrer la main du diable1 pour tenter de négocier une trêve ou d’allumer une étincelle d’empathie dans le regard de celui qui carbure à la destruction. Je me suis demandé, comme Roméo Dallaire2, pourquoi le concept de responsabilité de protéger qui avait été accepté en 2005 par l’Organisation des Nations unies n’a pas guidé certaines actions au début du conflit qui nous concerne aujourd’hui.

Pour qui n’est pas militaire, l’idée de ne pas intervenir directement sur le terrain dans l’optique de prévenir un élargissement du conflit qui risquerait de menacer la vie d’un plus grand nombre de personnes peut paraître scandaleusement immorale, surtout lorsque des vies sont fauchées sous nos yeux3.

Je ne suis pas militaire, ni une spécialiste des communications ou de la diplomatie. En tant que citoyenne du monde et psychologue, je cherche à trouver un sens face à ce dont je suis témoin et à ce que je ressens, à comprendre comment cette guerre affecte mon état mental et interpelle ma conscience.

Solidarité

Certes, divers mécanismes de protection s’offrent à moi pour me prémunir de ses impacts sur ma santé psychologique, mais je ne peux nier son existence. J’accepte l’inconfort qu’elle me crée, par solidarité et empathie. Je n’ai pas envie de minimiser non plus ses conséquences ni de carburer à la haine contre ceux qui en ont été les instigateurs. Car j’espère continuer d’utiliser mon énergie à bon escient afin de continuer d’être utile autant que je peux l’être, et considérant la chance que j’ai d’être encore en vie.

Cette connexion avec mes voisins du monde en guerre a aiguisé encore plus ma conscience de la précarité des choses et de la fragilité de certains droits trop souvent tenus pour acquis. Le droit d’être secouru et celui de mourir dans la dignité représentent des privilèges auxquels la majorité des humains n’ont pas accès, contexte de guerre ou pas.

1. Dallaire, Roméo (2003). J’ai serré la main du diable : la faillite de l’humanité au Rwanda, Éditions Libre Expression.

2. Visionnez une entrevue avec Roméo Dallaire à Radio-Canada

3. Le film The Imitation Game explore ce dilemme éthique, du point de vue des stratégies militaires.

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