J’ai grandi en pensant que mon grand-père avait laissé partir ses enfants sans trop se battre. Qu’à la mort de ma grand-mère, il en avait placé plusieurs dans des orphelinats ou des pensionnats parce qu’il n’était pas en mesure de s’en occuper.

Ce n’est que dernièrement que j’ai compris que ce n’était pas un choix. Que quand on était indien dans les années 1950 ou 1960, on n’avait pas son mot à dire, même quand on était « assez civilisé » aux yeux du gouvernement, même pour le sort de ses propres enfants. Avant non plus d’ailleurs, les pensionnats pour Autochtones en faisant foi. Enchâssés dans une Loi sur les Indiens dictatoriale pour les Premières Nations ou dans les maillons d’un père fédéral montrant la voie aux Inuits et aux Métis, les pensionnats ou les foyers fédéraux ont laissé des traces.

Mais tout cela, toutes ces vérités cachées et ces façons de faire tordues et assimilationnistes pour « amener l’Indien au rang de civilisé », ç’a été une normalité pendant tant d’années qu’on en est peut-être venus à oublier que ce n’était pas normal. Et à en souffrir en silence pendant que la honte d’être, simplement d’être, nous rongeait.

Je ne peux ni ne veux m’approprier la souffrance des survivants des pensionnats. Mais j’ai été témoin de vies gâchées, de malaises de vivre, de honte d’être trop ou trop peu, ou au mieux, de quêtes de sens. La petite fille au pensionnat qui se fait couper les cheveux, qui se fait appeler par le numéro qu’on lui a attribué, qui se fait taper sur les doigts avec une règle en bois pour n’avoir été qu’elle-même, sans parler des sévices psychologiques, spirituels, sexuels et physiques, ça aurait pu aussi être moi. Et ça l’a peut-être été, en quelque sorte.

Un « moi » comme dans tous ceux qui ont vécu les effets du déracinement des leurs et de l’implosion forcée de leurs visions du monde et de leurs cultures. Pour ces communautés brisées qui se rabibochent à coups de petits pas et de petites victoires.

J’aimerais tellement que ce soit la dernière fois que j’ai à parler des pensionnats. Mais ce ne le sera pas.

Cette semaine, des Métis, des Inuits et des membres des Premières Nations rencontraient le pape François au Vatican. Ce vendredi matin, le pape doit prononcer un discours attendu par plus d’un. Certains espèrent des excuses, d’autres, des actions concrètes comme l’accès aux archives de l’Église en lien avec les pensionnats. Les Inuits, eux, demandent à l’Église le respect des obligations légales de la Convention de règlement relative aux pensionnats autochtones de 2006 et du dédommagement financier conséquent, que les survivants n’ont toujours pas eu.

Pire, l’Église catholique assurait l’automne dernier avoir versé plus que ce qui avait été convenu en « nature » aux Autochtones. Je passerai sur le choix de mot. Dans les faits, du travail religieux ordinaire sans plus. Certaines initiatives pour tenter d’évangéliser les Autochtones, encore une fois. Loin d’une compensation.

Et il y a les autres, des survivants autochtones eux aussi, qui ne comprennent pas ce que les leurs font à Rome à quémander des excuses.

Je l’ai déjà dit souvent dans ces mêmes chroniques. Avant l’arrivée des Européens, dans plusieurs langues autochtones, il n’y avait pas de mots pour dire « je m’excuse ». Plutôt que de s’excuser, on réparait la gaffe, l’erreur, l’injustice. Plus j’y pense, plus je me dis que même en français, en anglais, en italien voire en latin — puisqu’il faut parfois parler la langue de l’autre pour se faire comprendre — il n’y a, dans certaines situations, pas de mots assez forts pour s’excuser, l’excuse simple et trop facile n’étant pas à la mesure des sévices infligés. Surtout quand l’on parle d’abus répétés d’une telle violence.

Ce n’est pourtant pas la première fois que des Autochtones du Canada rencontrent le pape au Vatican dans le dossier des pensionnats. En 2009, au surlendemain des excuses prononcées par Stephen Harper dans ce dossier, le pape Benoît XVI recevait une délégation de quelques Autochtones en lien avec les pensionnats. Bien que le pape ait alors exprimé des regrets, son engagement se limitait à la prière pour que les personnes concernées par ces drames connaissent la guérison.

Tout ceci impose une question : est-ce que la guérison peut se réaliser pleinement si l’autre ne reconnaît pas sa responsabilité, les faits, les abus et les souffrances qu’il a infligés ?

À bien y penser, c’est peut-être ce qu’on recherche en espérant des excuses : une voie vers la reconnaissance de la vérité. C’est tout de même donner beaucoup de pouvoir à l’autre.

Je me souviens de ma visite au Vatican comme si c’était hier. Des corridors à n’en plus finir de présentoirs renfermant des trésors, des objets précieux, un plafond en or, de l’argent et des pierres précieuses partout avant d’enfin arriver à la chapelle Sixtine. Un mal de cœur grandissant tout au long du trajet. Tant de richesses ! Tant de pouvoir !

Quand je vois les délégations autochtones qui se présentent au Vatican avec un cadeau pour le pape, le gros malaise, celui que j’ai ressenti le long des corridors que je ne voulais plus voir, revient.

Il y a des moments où la guérison passe peut-être par la condamnation. Des moments où prier ne sera pas suffisant. Comme aujourd’hui.

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