Nous assistons, horrifiés, au déluge de feu, de destruction massive et de terreur déversé sur l’Ukraine, sa souveraineté bafouée.

Le cynisme de Vladimir Poutine, son avidité de conquête donnent froid dans le dos. Il y perdra, sur tous les fronts, y compris le monopole du gaz dont les pays européens qui en dépendent veulent se sortir maintenant, coûte que coûte. Mais d’abord, la confiance du peuple russe s’effrite tant il le trompe, l’oppresse, le réprime, le mène au bord du gouffre. Ce conflit insensé, fratricide, se soldera par une lourde responsabilité face à l’histoire, celle de crimes contre l’humanité.

Le donneur d’ordres sera maudit pour sa cruauté. À commencer par les familles de tous ces jeunes soldats, conscrits, en provenance des régions et des communautés les plus défavorisées de Russie, à qui il a fait croire qu’ils allaient en héros libérer, « dénazifier » l’Ukraine. Ces sacrifiés seront des milliers à ne pas revenir.

Pour prendre la pleine mesure de l’hécatombe, il y a Marioupol, cette cité balnéaire prisée qui accueillait, l’année dernière encore, à bras ouverts, quantité de vacanciers russes. La voici ville martyre, rasée, ses bâtiments éventrés.

Cent mille personnes y sont encore coincées, n’ont plus où se mettre à l’abri des tirs meurtriers. Sans eau, sans vivres, sans électricité, c’est le printemps le plus froid, le plus terrifiant et le plus désespérant que l’on puisse imaginer.

Plus de 10 millions d’Ukrainiens, en majorité des femmes, des enfants et des aînés vulnérables, ont dû fuir. Les colonnes de refugiés, incessantes aux frontières, exposent des vies brisées.

J’ai été bouleversée par une enfant de la chorale de l’école élémentaire publique Michaëlle-Jean d’Ottawa, Maya Poslavskyy. La fillette de 11 ans, en voyant l’épinglette ornée des drapeaux ukrainien et canadien sur ma veste, souvenir de la visite d’État que, gouverneure générale du Canada, j’ai effectuée en Ukraine, elle s’est jetée dans mes bras pour me dire : « Je suis d’Ukraine, mes grands-parents ont réussi à s’échapper, ils sont arrivés en Roumanie et devraient nous rejoindre bientôt au Canada. C’est terrible ! On a peur ! »

Je l’ai bercée pour chasser l’angoisse et son soupir de réconfort ne m’a pas échappé. C’était à l’hôtel de ville d’Ottawa, où le maire Jim Watson avait choisi de me remettre les clés de la capitale, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. Mes premiers mots ont été pour l’Ukraine : « Monsieur le maire, que diriez-vous que la Ville d’Ottawa lance un appel aux maires d’autres capitales du monde, pour une mobilisation en solidarité avec les villes d’Ukraine, les populations, les réfugiés ? Un tel appel serait extraordinaire en provenance de la capitale canadienne où vivent tant de personnes comme moi qui ont eu à fuir horreur, répression, insécurité, conflits. » Le maire Watson a accueilli l’idée et a lancé l’appel, pour commencer aux capitales des pays du G7 et des pays voisins de l’Ukraine. J’en suis émue. Je pense à Maya et à ses grands-parents.

C’est toute la région d’Europe centrale et de l’Est qui se demande, après l’Ukraine, quel autre pays sera assailli ?

Tous tremblent face aux menaces proférées par Poutine de recourir à son arsenal nucléaire et d’armes chimiques. Que de précautions prises par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui, pour ne pas être perçue comme partie prenante dans cette guerre, a refusé d’accorder au président Volodymyr Zelensky qu’une zone d’exclusion aérienne soit décrétée au-dessus de l’Ukraine pour protéger les populations des bombes et des missiles largués par les avions de l’armée russe. Tout comme l’Union européenne (UE) n’a pas retenu la supplique du président d’activer la demande d’adhésion de l’Ukraine.

Il y a la peur que Poutine engage des représailles et que l’Europe sombre dans une guerre totale.

Les lourdes sanctions économiques, y compris contre les oligarques, la décision d’entreprises internationales de se retirer de Russie et la suspension des visas suffiront-elles à faire reculer Vladimir Poutine ? Pour le moment, jusqu’au-boutiste, il se joue de tous, à coup d’intimidation. Il aime les acclamations en provenance du Mali et de la République centrafricaine, où il a su déployer des mercenaires, lourdement armés, qui agissent sous l’épithète Wagner, positionnés en libérateurs pour des opérations dites de sécurité et antiterroristes. On a vu, au Liban, des manifestations de membres du Hezbollah brandissant en marque de soutien des pancartes à l’effigie du maître du Kremlin.

En 2009, j’étais à Kyiv, à Lviv et à Tchernobyl, à l’invitation de Viktor Iouchtchenko, leader de la « révolution orange », qui a été président de l’Ukraine de 2005 à 2010, et que nous avions reçu officiellement à Ottawa. Certes, il était venu dire sa gratitude envers le Canada, premier pays occidental à avoir reconnu l’indépendance de l’Ukraine à la dissolution du bloc soviétique, saluer aussi le million de Canadiens d’origine ukrainienne.

Mais l’enjeu, pour Iouchtchenko, était davantage la campagne qu’il menait, déjà, en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

« Le temps presse, nous disait-il, l’Ukraine a besoin du bouclier armé et de dissuasion de l’OTAN contre les menaces et le plan de Vladimir Poutine, qui veut faire renaître une sorte de nouvel empire, une nouvelle URSS, mais qui porterait le nom de la Russie. C’est un plan obsessionnel. »

Il avait obtenu l’appui du gouvernement Harper et de Washington, des promesses restées, cependant, sans suite, devant l’opposition farouche du Kremlin qui soutenait Viktor Ianoukovitch. Le prorusse sera élu, à coup de fraudes électorales importantes, en 2010. Il annoncera son refus en 2013 de signer l’accord d’association de l’Ukraine avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie. La suite, on s’en souvient, les vagues de protestation, les centaines de milliers d’Ukrainiens révoltés par cette décision, surtout des jeunes, étudiants, artistes, bardés de rêves et de tous les espoirs, désireux de s’ouvrir au monde, revendiquant leur « révolution de la dignité », jusqu’à l’affrontement, en février 2014, place Maïdan, à Kyiv, avec les forces gouvernementales et l’armée, autorisée à tirer à balles réelles, qui fera plus de 80 morts. Destitué par le Parlement, Ianoukovitch se réfugiera en Russie comme on rentre au bercail. Des bruits courent que Poutine penserait à le remettre en scène à la tête de l’Ukraine.

Les Ukrainiens, eux, sont loin d’avoir capitulé.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion