Une étude1 sur les effets de la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») pilotée par trois chercheurs des universités McGill et Concordia a beaucoup circulé ces derniers jours. Elle a été relayée par Le Devoir, Le Journal de Montréal, CTV et CBC malgré d’importantes lacunes sur le plan scientifique.

L’étude cherchait à rassembler de l’information sur les étudiants en éducation et en droit, deux domaines directement touchés par la loi 21. Est-ce que la loi a changé la perception de ces étudiants à propos du Québec ? Est-ce qu’elle a affecté leur expérience en ce qui concerne la discrimination ?

Il faut lire l’étude pour comprendre le portrait que brossent les auteurs, mais la réponse simple à ces questions est la suivante : beaucoup d’étudiants disent vivre plus de discrimination depuis l’adoption de la loi et pensent même quitter le Québec en raison du manque d’occasions d’emploi.

Problème de méthodologie

Une telle étude semble intéressante au premier abord, mais on y retrouve plusieurs problèmes, notamment sur le plan méthodologique. On reconnaît dans l’étude que l’échantillonnage du sondage « est relativement petit et non nécessairement représentatif ». On ajoute qu’il « existe une forte possibilité d’un biais de sélection en faveur de ceux opposés à la loi ».

C’est que les chercheurs ont notamment envoyé leur questionnaire à des organisations étudiantes, surtout anglophones, ainsi qu’à des groupes religieux pour que ceux-ci les distribuent dans leur réseau. Comme la population s’agrandit au fur et à mesure que le questionnaire est distribué, on appelle cette méthode dans le jargon scientifique un « échantillonnage boule de neige ».

Il faut le dire sans ambages : une telle étude ne peut avoir aucune prétention à la représentativité. On cherchait des étudiants qui en avaient long à dire contre la loi et on en a trouvé.

Les auteurs pourront toujours se défendre en disant que les limites de leur étude sont écrites noir sur blanc et qu’on ne peut les accuser de manquer de transparence. Mais on ne peut banaliser de telles lacunes surtout lorsqu’il est question d’un sujet aussi sensible.

Comment trois chercheurs d’universités peuvent-ils piloter une étude aussi incomplète ? Il est certain que ces professeurs savaient pertinemment que leur étude allait être relayée par les grands médias.

Il y a notamment CTV qui titrait « More than half of Quebec law and education students in survey say Bill 21 is making them want to leave the province». Considérant que le sondage n’est pas représentatif des étudiants dans ces domaines, il ne fait aucun doute que ce titre trompe le lecteur.

C’était mieux avant ?

La méthode d’échantillonnage de l’étude est fortement douteuse, mais là où l’étude franchit un pas impardonnable, c’est lorsqu’elle prétend analyser les effets de la loi 21 sur la discrimination.

Le problème, c’est qu’en aucun cas les chercheurs ne montrent comment la situation a changé, ils se contentent de recueillir des témoignages d’étudiants qui disent avoir vécu davantage de discrimination depuis l’adoption de la loi en 2019.

On peut lire le témoignage d’un homme arabe qui dit subir le regard méfiant des secrétaires scolaires. Ailleurs, on rapporte qu’un étudiant juif a déjà vécu des attaques antisémites et qu’une étudiante s’est déjà fait crier de « retourner dans son pays ».

Il est certain que de lire de tels commentaires heurte nos sentiments et tous s’entendront pour les condamner. En revanche, le lecteur honnête peine à comprendre en quoi ces comportements sont attribuables à la loi 21. Se pourrait-il que les répondants du sondage interprètent leur vécu à l’aune de la loi 21, mais que celle-ci n’ait absolument aucun lien avec les comportements subis ?

Il faut d’ailleurs comparer ces données avec celles issues de Statistiques Canada qui montrent que les crimes haineux au Québec pour motif religieux ont baissé de 36 % depuis 20183. Une telle statistique ne dit pas tout des discriminations, mais elle permet néanmoins de nuancer la portée des témoignages recueillis.

Une conclusion en tête

En réalisant cette étude, est-ce que les auteurs avaient une conclusion en tête et ont cherché des témoignages en fonction de celle-ci ? On peut se poser la question à bon droit. Or, une telle étude et sa diffusion dans les médias ne font qu’attiser les divisions dans la population sans pour autant chercher des pistes de solution.

1. Consultez les conclusions de l’étude 2. Consultez l’article de CTV (en anglais) 3. Consultez des données de Statistique Canada Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion