Nous avons posé la question à Étienne-Alexandre Beauregard (Le schisme identitaire) et Raquel Fletcher (Qui est Québécois ? ), auteurs de deux ouvrages récents sur l’identité québécoise. Voici leur réponse.

Définir l’imaginaire québécois

Depuis les élections de 2018, qui ont porté au pouvoir la CAQ, le Québec a mis de côté le débat constitutionnel pour basculer pleinement dans l’ère identitaire. Alors que certains prédisaient « la fin des vieilles chicanes », voilà que la question de la nation se pose plus intensément que jamais, dans une société polarisée toujours davantage par des enjeux émotifs, à forte teneur symbolique.

Le débat sur la langue française, assoupi sous prétexte d’une fausse « paix linguistique » depuis des décennies, est réveillé d’un coup par le projet de loi 96. Si ce dernier ne va pas assez loin aux yeux de certains, il ne provoque pas moins l’ire des groupes anglophones et du Parti libéral avec eux. La question qu’il soulève est aussi simple que fondamentale : en 2022, est-il encore légitime d’affirmer que le Québec est un État français ?

Presque deux ans après l’adoption de la loi 21, la laïcité échauffe toujours autant les esprits.

L’expérience historique québécoise, et son rapport particulier à la religion issu de la Révolution tranquille, peuvent-ils faire loi après vingt ans d’hégémonie multiculturaliste ? Ce débat, sans doute le plus polarisant de notre temps, porte réellement sur le droit des Québécois de définir les règles de la citoyenneté et de l’intégration face à une interprétation de plus en plus maximaliste et intransigeante des libertés individuelles.

De la même manière, les seuils d’immigration sont devenus un enjeu névralgique à une époque où notre capacité d’intégration semble atteinte, avec des seuils proportionnellement deux fois plus élevés qu’en France et aux États-Unis. Une fois encore, c’est la possibilité même d’en débattre qui est en jeu.

Les uns brandissent la fameuse « pénurie de main-d’œuvre », censée faire taire tout contradicteur, tandis que les autres feignent l’indignation morale à l’idée qu’on puisse vouloir limiter l’immigration : qui sont les Québécois pour décider qui peut ou non s’installer chez eux ?

Quel avenir pour la nation québécoise ?

À travers ces questions brûlantes, c’est un véritable bras de fer pour la légitimité qui se joue sous nos yeux, une guerre culturelle dont l’objet n’est nul autre que la définition de l’imaginaire québécois, et avec lui de ce qui est acceptable et inacceptable en politique.

La question identitaire oriente inévitablement cette lutte autour du rôle de l’État du Québec : dans l’héritage de « maîtres chez nous », peut-il toujours s’affirmer comme État-nation francophone, ou est-il plutôt condamné à s’emmurer dans un multiculturalisme lui interdisant toute action structurante pour défendre de la culture québécoise ?

Certes, la Coalition avenir Québec est au pouvoir, mais son discours n’est pas dominant pour autant chez les intellectuels qui façonnent chaque jour le récit officiel. Le camp qui parviendra à gagner sur ce front, en imposant sa vision de l’histoire et de l’identité, sera celui qui maîtrisera le jeu politique, forçant par le fait même ses adversaires à jouer selon ses règles pour demeurer respectables. Comme quoi le combat des idées est autant sinon plus important que la joute électorale pour décider l’avenir de la nation québécoise.

Le schisme identitaire

Le schisme identitaire

Les Éditions du Boréal, mars 2022

273 pages

Projet « commun », écoute mutuelle

En 1998, Léon Dion avait terminé son livre Révolution déroutée avec une réflexion qui est aussi pertinente aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard. Dans une société moderne et de plus en plus pluraliste, il a réfléchi comment bâtir l’avenir pour que tous les citoyens et citoyennes puissent s’épanouir : « Comment concevoir le Québec en tant que société globale qui n’exclut rien ni personne, qui enchante l’imagination, stimule les intellectuels, imprègne toutes les classes sociales et l’ensemble du peuple, et se projette dans l’universel sous toutes les formes d’action collective ? »

Il s’agit d’une question qui n’a pas encore trouvé de réponse. À l’approche des élections provinciales, la question de l’identité québécoise préoccupe tous les partis politiques. Le professeur et spécialiste en politique Frédéric Boily explique que la question identitaire dans la politique québécoise est « devenue un thème incontournable, supplantant ainsi le débat national ». Malheureusement, trop souvent les enjeux identitaires divisent ou risquent de diviser bien des Québécois.

Prenons, par exemple, un sujet qui deviendra sûrement un gros débat lors de la campagne : l’idée d’étendre ou non la loi 101 au cégep. Est-ce la meilleure façon de protéger la langue française ? Des voix s’élèvent pour la revendiquer mais d’autres restent résolument fermés à l’idée d’enlever le libre choix.

Est-ce possible de parvenir à un consensus quant à un enjeu aussi chargé d’émotion ?

Le thème de l’immigration est aussi largement lié à la question identitaire depuis les dernières élections. En 2018, la CAQ s’est fait élire sur une promesse électorale de baisser les seuils d’immigration.

Cependant, deux ans après le début de la pandémie, une pénurie de main-d’œuvre très exacerbée risque de changer le ton du discours. Est-ce que le Québec doit accueillir plus d’immigrants ? Comment faciliter leur intégration ?

Lutter contre le racisme et l’islamophobie

Le Québec fait face actuellement à un autre grand défi, celui de lutter contre le racisme et l’islamophobie. En 2019, lorsque la Ville de Toronto a déclaré le 29 janvier Journée de commémoration et d’action contre l’islamophobie, le premier ministre du Québec a nié catégoriquement qu’il existe un problème chez nous : « Il n’y a pas d’islamophobie au Québec », a dit François Legault aux journalistes quelques jours seulement après l’anniversaire de la fusillade au Centre culturel islamique de Québec.

Le Conseil national des musulmans canadiens, ainsi que le Centre culturel islamique ont immédiatement appelé Legault à rétracter ses propos. Cela fait maintenant cinq ans depuis la fusillade et les musulmans québécois témoignent toujours se sentir marginalisés par rapport au reste de la société. Pour beaucoup, la loi 21 sur la laïcité a renforcé ce sentiment d’isolement.

Les débats qui entraînent les enjeux identitaires vont demeurer au Québec. Le défi pour tout le monde sera d’encourager et d’entretenir une écoute mutuelle.

Ce ne sont pas que les enjeux eux-mêmes qui importent, mais aussi la façon de les traiter. En tenant un discours, c’est aussi important de porter attention à ceux qui peuvent se sentir exclus du débat que du projet lui-même supposément commun.

Qui est Québécois ?

Qui est Québécois ?

Éditions Hashtag, mars 2022

196 pages

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