Découlant de toute évidence de la seule volonté du président autocratique de la Russie, Vladimir Poutine, la guerre contre l’Ukraine constitue une attaque envers le système international fondé sur des règles et le droit international.

Elle viole la norme fondatrice de l’Organisation des Nations unies (ONU), à savoir l’interdiction de recourir à la force à l’encontre de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique d’un État souverain. Elle est également une violation flagrante du droit humanitaire et des règles régissant les conflits armés, tout particulièrement eu égard au bombardement des civils.

Qui plus est, elle constitue la première menace directe de guerre nucléaire depuis la crise de Cuba.

Face à notre incapacité, à ce jour, à faire respecter les règles de base du système international dans ce conflit, certains constatent l’obsolescence de ce système et ont tendance à baisser les bras. Au contraire, nous croyons que cette catastrophe aux conséquences humaines dramatiques pour le peuple ukrainien et pour l’ensemble de la planète fait ressortir on ne peut plus clairement le besoin d’un système international ancré dans les règles et les institutions.

Malgré le pessimisme ambiant bien compréhensible, retroussons-nous plutôt les manches et passons à l’action.

Le conflit ukrainien que le président Volodymyr Zelensky n’hésite pas à qualifier de Troisième Guerre mondiale témoigne éloquemment des vives tensions entre autocraties et démocraties. L’ordre mondial change, il faut en prendre acte et s’adapter. Cependant, même dans ce nouvel ordre en évolution, nous avons besoin de normes et de règles pour régir les relations entre États afin de nous donner une meilleure chance de préserver la paix, protéger les civils, rehausser le respect des droits de la personne et assurer une meilleure fondation pour le développement économique, la réduction de la pauvreté et la protection de l’environnement.

La Russie enfreint les règles

On pourra rétorquer « à quoi bon » puisque les règles ne sont pas respectées. Or, dans la majorité des situations, les règles sont respectées. Si la Russie fait l’objet d’un opprobre général et d’une batterie de sanctions, c’est justement parce qu’elle a enfreint les règles.

Il est dans l’intérêt de la très grande majorité des pays, y compris les grandes puissances, de pouvoir bénéficier d’un système international fondé sur les règles. Profitons du fait que 141 pays sur 193 ont condamné l’agression russe à l’Assemblée générale de l’ONU, et ont réaffirmé haut et fort les principes fondamentaux de gouvernance internationale.

Il va de soi qu’un système fondé sur des règles est dans l’intérêt d’une puissance moyenne comme le Canada.

Le Canada a été un grand contributeur à l’établissement des règles et institutions du système international. De l’élaboration du droit de la mer à la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel à la création de la Cour pénale internationale, sans oublier la création des Casques bleus, la responsabilité de protéger et la problématique des enfants soldats, le Canada a une feuille de route fort enviable.

Il y a ici une occasion pour le Canada de rehausser son niveau de jeu d’un cran et d’assumer un leadership accru afin de revivifier un système international fondé sur les règles, de le bonifier à la lumière des nouveaux défis, et de renforcer les institutions afférentes. Cela suppose également un système où prime le respect de la règle de droit et des normes, et où la communauté internationale a les moyens de contraindre et sanctionner les États et les individus pour non-respect de celles-ci.

Contribuer à une meilleure gouvernance mondiale

Il serait prématuré de prescrire ici une feuille de route détaillée. Il y a d’abord lieu de mener une réflexion approfondie avec d’autres États et la société civile afin d’identifier les chantiers prioritaires et de stimuler une mobilisation. De même, il faut mettre à contribution nos leaders politiques et nos diplomates, notamment à New York et à Genève. Et enfin, il s’agit de faire preuve d’audace, d’innovation et d’une action soutenue sur plusieurs années.

Utopique ? Non. Évidemment, les intérêts divergents et le jeu des grandes puissances constitueront un défi, notamment eu égard à toute réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Il faudra d’ailleurs composer avec le fait que le monde occidental n’est plus seul à faire des règles. Le système de règles et les institutions que nous construirons seront toujours imparfaits. Toutefois, si nous pouvons faire des avancées pertinentes sur plusieurs fronts, et contribuer ainsi à une meilleure gouvernance mondiale, ce sera déjà œuvre utile.

Ce que nous savons, d’expérience, c’est qu’avec un leadership politique inspiré et l’engagement de l’appareil diplomatique, le Canada est capable de mettre de l’avant des idées, de travailler avec de nombreux États et partenaires, de mobiliser, et de favoriser des consensus suffisants pour faire avancer les choses et offrir au monde une meilleure chance. Par définition, il s’agira d’une œuvre collective. Mais pour faire avancer la collectivité, il faut que des leaders se lèvent.

Le Canada s’est affirmé dans la crise en Ukraine, entre autres en saisissant la Cour pénale internationale de la situation. Il pourrait également contribuer à la mise sur pied d’un tribunal international spécial pour les crimes de guerre commis par la Russie et proposer des actions innovantes eu égard à l’utilisation des avoirs russes gelés par les sanctions comme réparation pour l’Ukraine.

Au-delà de la crise sous nos yeux, le Canada se doit de développer une politique étrangère d’ensemble, stratégique, cohérente et ambitieuse. Outre la défense de la démocratie, la promotion active d’un système international fondé sur les règles pourrait offrir un fil conducteur structurant à la politique étrangère canadienne et asseoir un leadership susceptible d’impact dans un monde qui en a bien besoin.

*Cosignataires, anciens diplomates et Fellows de l’Institut d’études internationales de Montréal : Claude-Yves Charron, Louis de Lorimier, François LaRochelle, Anne Leahy, Christiane Pelchat, Gilles Rivard, Guy Saint-Jacques

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