Depuis une vingtaine d’années, au lieu de s’investir dans la politique internationale, nos gouvernements canadiens ont plutôt tergiversé et privilégié les grands discours : les mots étant plus importants que l’action. Une telle approche témoigne des lacunes de la politique de défense et de la diplomatie canadiennes.

À la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le Canada a contribué aux efforts de l’OTAN en Lettonie et aux missions de formation militaire en Ukraine. Néanmoins, aucun engagement militaire ou investissement budgétaire en défense ne peut compenser l’absence d’une politique internationale et d’une stratégie pour son exécution.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie s’impose comme un moment décisif.

Le Canada doit investir davantage dans les affaires internationales pour paraître sérieux et rebâtir sa crédibilité auprès de ses alliés et des organisations multilatérales.

L’option de rechange est d’être ignoré par les États-Unis et l’Europe et de devoir investir davantage plus tard pour des rendements considérablement moindres.

Les institutions multilatérales ont longtemps eu un effet multiplicateur sur les investissements canadiens en politique internationale. Le Canada a contribué à l’élaboration d’une architecture transatlantique visant à assurer la sécurité, la prospérité et la démocratie dans la région de l’Atlantique Nord. L’adhésion à l’OTAN a permis au Canada de sous-investir en défense tout en exerçant une influence supérieure au poids relatif du pays.

C’est aussi à dessein que l’Europe est devenue la relation stratégique la plus importante pour le Canada après les États-Unis. L’Union européenne (UE) et le Canada ont un intérêt commun à modérer le penchant américain pour l’unilatéralisme.

Toutefois, avec l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a franchi le Rubicon. Le moment historique a été saisi, notamment par l’Allemagne. En effet, le chancelier Olaf Scholz a amorcé un revirement historique : une injection immédiate de 100 milliards d’euros pour moderniser les forces armées allemandes, la promesse de porter les dépenses de défense à 2 % du PIB et l’exportation de missiles et d’armes antichars pour soutenir l’Ukraine.

L’Allemagne a également annoncé la création de deux nouveaux terminaux d’importation de gaz naturel liquide afin de réduire sa dépendance à l’égard des importations d’énergie russe, tandis que l’UE accélère ses plans d’élimination progressive des énergies fossiles russes. Ainsi, la politique de l’UE en matière de défense et de transition énergétique a été bouleversée en l’espace de quelques jours. Il n’y a pas eu d’hésitation. Pourtant, le seul allié des Européens et des Américains qui dispose d’un potentiel inexploité pour appuyer ce changement de cap s’avère peu fiable.

Au cours du récent voyage du premier ministre en Europe, la dissonance entre les points de discussion de Trudeau sur l’emploi, la classe moyenne et le changement climatique et la gravité du ton des dirigeants européens était frappante. Le premier ministre a privilégié un calcul électoral aux dépens d’enjeux stratégiques. Cette fois-ci, cependant, les ramifications sont d’une plus grande envergure.

En effet, après des décennies de négligence, la boîte à idées de la politique internationale du Canada semble bien vide. Pour regagner sa place au sein des institutions alliées et multilatérales, le Canada doit offrir des capacités réelles.

Par exemple, une capacité expéditionnaire robuste, une défense contre les missiles balistiques, le renouvellement du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et la mise en place d’une agence de renseignement étranger autonome.

Le Canada doit également revoir sa politique énergétique et contribuer à la sécurité énergétique de l’Europe, tout en décarbonisant et en accélérant la transition énergétique mondiale. Les enjeux climatiques et géopolitiques ici s’entremêlent. Les exportations de gaz russe vers l’Europe subventionnent la brutalité de Vladimir Poutine en Ukraine et limitent l’impact des sanctions contre son régime.

Enfin, le Canada doit tenir ses promesses dans le domaine des sanctions, en commençant avec l’Agence canadienne de lutte contre la criminalité financière annoncée en 2019.

La commission Cullen sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique a clairement démontré que le Canada est un refuge pour l’argent sale du monde entier, y compris celui provenant de la Russie, avec des lois laxistes et aucune application significative. Personne au Canada n’a jamais été emprisonné pour du blanchiment d’argent transnational.

L’orientation actuelle du gouvernement fédéral pourrait rapidement devenir un sérieux handicap. Toutefois, le prochain budget fédéral et le sommet de l’OTAN de cette semaine offrent au gouvernement Trudeau une occasion historique de changer de cap et d’investir en politique internationale : prouver aux alliés et aux partenaires qu’ils peuvent compter sur le Canada comme un allié avec une vision stratégique claire et précise et une capacité fiable et habile à la gestion pragmatique des crises. L’autre option est un monde où le Canada se retrouvera seul et sans influence.

*Auteur du livre Intelligence as Democratic Statecraft (Oxford University Press), Christian Leuprecht est également professeur à l’Université Queen’s et senior fellow à l’Institut Macdonald-Laurier ; Bruno Charbonneau est directeur du Centre FrancoPaix de la Chaire Raoul-Dandurand.

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