Depuis plusieurs semaines, le rétablissement des activités post-COVID dans le réseau de la santé bat son plein. En conséquence, les listes d’attente ne diminuent pas ; elles s’accentuent. Il m’est difficile d’affirmer ici le fait que des patients attendent indûment pour commencer leur traitement de chimiothérapie, au-delà des notions d’urgence et des critères du médicalement requis. Mais il fallait s’y attendre, puisque le réseau de la santé ne peut plus s’adapter, car il est écartelé et dépourvu de pouvoirs pour développer des ressources novatrices.

Les signaux étaient pourtant là. La gestion à la petite semaine n’a jamais permis d’établir des plans prévoyant l’augmentation du nombre de patients en traitement de chimiothérapie. Le nombre de chaises de traitement est insuffisant, le personnel pour préparer et administrer la chimiothérapie, manquant, les heures de disponibilité, trop restreintes. Tout cela alors qu’on parle en fonction de données disponibles avant la pandémie. Il est facile de décrire la complexification de la situation après deux ans de négligence.

Les hôpitaux : le problème ?

Plusieurs critiquent l’hospitalo-centrisme comme cause des maux qui affligent la santé au Québec. De leur avis, tout serait trop basé sur les hôpitaux. Je n’opine pas dans ce sens. Les hôpitaux, qui ne sont de fait pas assez nombreux et qui ne disposent pas d’assez de lits et de ressources (la pandémie nous l’a démontré), sont l’essence de notre réseau. Et ils ne sont pas la cause des déficiences de la prise en charge pré-hospitalière et post-hospitalière, de l’absence de disponibilité et de coordination de la première ligne. De plus, il faudrait a priori s’entendre pour restreindre le terme centre hospitalier à des lieux de soins actifs, excluant les lits d’hébergement, qui ne contribuent pas à la desserte de ces soins.

Mais est-ce qu’il manque de supervision pour optimiser le travail des hôpitaux ? Absolument. Le doublement de ressources pour certains soins spécialisés est contre-productif.

Le morcellement des expertises empêche l’offre de services diagnostiques et de soins compétents et à la fine pointe. La recherche à l’excès de soins de proximité nuit probablement à la qualité. L’absence de données sur les soins donnés et sur leurs résultats empêche la création de plans visant l’optimisation des services et leur quantité. Et affirmons-le, le mode de rémunération, des médecins comme d’autres professionnels (pharmaciens, infirmières, physiothérapeutes, psychologues, etc.), est probablement inadapté à certains types de soins qui ne devraient pas être exclusivement axés sur la productivité, mais bien sur la pertinence. Par contre, ce débat explosif doit s’intégrer dans la révision des soins offerts à la population plus globalement. Ce seul point ne saurait être invoqué comme cause de tous les torts.

Le privé : la solution ?

Certains expriment que le privé est la voie salvatrice. Permettez-moi d’émettre des réserves. Certes, le développement de ressources en privé est nettement plus rapide que dans le secteur public. Mais est-ce que, pour autant, ces soins sont plus intégrés, meilleurs, adaptés aux besoins ? On n’en sait rien. Encore une fois, faute d’indicateurs de performance. Je ne dis pas que ce n’est pas une soupape permettant une augmentation rapide de la quantité de soins à offrir à des Québécois qui attendent indûment, mais rappelons que les cliniques de chirurgie, souvent publicisées, ne représentent que la pointe de l’iceberg des nécessités.

Je mentionne la chimiothérapie en introduction, mais c’est aussi le cas de mesures diagnostiques (laboratoires spécialisés, radiologie, scopies, etc.) et thérapeutiques (traitements intraveineux, transfusions, réadaptation, radiothérapie, etc.). Spécifions qu’il faudrait que les données générées dans ces lieux de soins deviennent accessibles après l’épisode de soins, ce qu’on arrive déjà difficilement à faire dans les lieux publics avec un Dossier Santé Québec minimal et peu performant.

La tête de l’hydre

Avec un réseau déjà tentaculaire, et avant de tout changer ou d’ajouter des bras supplémentaires comme les cliniques privées, ne faudrait-il pas entendre les dirigeants faire preuve d’un peu d’introspection ? Si le réseau est depuis si longtemps en dessous des performances attendues, se pourrait-il que ce soit à cause de sa direction ? En essence, les professionnels de la santé au Québec ont une formation et une compétence reconnues.

Quant à lui, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) possède-t-il les éléments pour formellement diriger le réseau ou ne fait-il que soumettre des vœux pieux aux acteurs du réseau qui font ce qu’ils peuvent avec les outils disponibles ? Le constat ne se veut pas ponctuel en ce qui a trait à l’équipe en place, mais à une évaluation longitudinale des actions du MSSS depuis plus de 30 ans de réformes.

Le premier ministre François Legault a toujours été rapide à ostraciser médecins et directeurs d’établissement, les affligeant des impairs du système de santé.

Il est moins prompt à dénoncer les agissements de la ministre Danielle McCann et de son équipe qui ont pourtant été l’objet de rapports divers et dont les manquements ont été désignés dans les rapports de la coroner Kamel et de la protectrice du citoyen notamment dans le dossier spécifique des CHSLD.

Je soumets donc que la refondation du réseau de la santé doit d’abord et avant tout viser sa capacité à diriger, à s’impliquer sans commande politique, à proposer et appliquer un plan directeur et intégrateur. John Maxwell, un pasteur américain qui s’est particulièrement intéressé aux questions de gouvernance, a écrit : « Un bon leader est une personne qui prend un peu plus que sa part du blâme et un peu moins que sa part d’honneur. » L’action de M. Dubé sera plus crédible s’il admet avec honnêteté et sincérité les torts des dirigeants du MSSS avant de proposer une résolution des problématiques uniquement en reniant l’apport de gens qui s’investissent par vocation dans la santé des Québécois depuis une vie.

La nouveauté par cette réforme, soit. Cependant, affirmons une fois pour toutes qu’elle doit s’exercer aussi à la tête, en installant une direction forte, indépendante, créative, compétente, stable. Seulement, alors, les Québécois accepteront les mutations proposées, qu’elles incluent l’apport du privé ou pas, qu’elles soient imposées avec un critère d’urgence sanitaire ou non. En attendant, je voudrais bien qu’on m’indique quand les patients en attente de chimiothérapie pourront recevoir des soins compétents en temps opportun...

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