Lors des rencontres en présence de Vladimir Poutine auxquelles j’ai assisté, il voulait toujours donner l’impression qu’il était « l’homme dominant » dans la pièce. Avec son air arrogant, il préférait esquiver les questions avec un mépris envers le Canada qui était pour lui un pays à prendre à la légère.

Plus tard et en privé, il arrivait même que le premier ministre Stephen Harper se moque de ses techniques pour éluder les questions. M. Harper cependant l’avait bien cerné dès sa première rencontre : Poutine représentait clairement une menace pour la stabilité de l’Europe et du monde entier.

Après avoir été témoin de l’effondrement de l’URSS et de l’humiliation de voir son pays devenir un mendiant sur la scène internationale sous la direction ivre et erratique de Boris Eltsine, Poutine s’était donné une mission claire au début de son mandat : « Make Russia Great Again » et lui redonner le statut de grande puissance mondiale.

En voulant conquérir l’Ukraine, Poutine reprend la même stratégie que son héros, Pierre le Grand, qui voulait entourer et protéger la Russie d’un bouclier d’États satellites contre un potentiel envahisseur de l’Europe.

Cette protection simple mais efficace a été fondamentale dans la capacité de la Russie à repousser plusieurs envahisseurs au fil des siècles, en ralentissant les avancées et en attendant que l’hiver russe inflige ses ravages. Napoléon et Hitler furent victimes de cette même stratégie.

Poutine contrôle déjà la Biélorussie et une partie du Caucase. Il ne lui manque plus que l’Ukraine et les pays baltes pour recréer le bouclier.

Prochainement à l’affiche

N’en déplaise aux optimistes, Poutine n’a pas l’intention de cesser les hostilités, car son sort est maintenant lié au succès de sa mission. Son plan initial de blitzkrieg fut un échec, alors les forces armées russes poursuivent maintenant des tactiques de guerre brutales utilisées durant la guerre de Tchétchénie et de Géorgie, visant à anéantir et à démoraliser la population civile. La communauté du renseignement américain croit encore que la puissance militaire russe sera victorieuse, mais il est clair que l’occupation de l’Ukraine à long terme contient les germes de sa propre destruction.

Même si Poutine réussit à conquérir militairement le territoire, les Ukrainiens résisteront encore et toujours à l’envahisseur. Et chaque jour de résistance représente un pas de plus vers une victoire éventuelle.

Cependant, si la victoire des Ukrainiens est assurée, elle risque de prendre des années à se réaliser comme celle des moudjahidine afghans lors de l’intervention désastreuse des Russes en Afghanistan. La défaite de l’Armée rouge en Afghanistan a grandement contribué à la chute de l’URSS et un destin semblable attend Poutine.

Un nouvel ordre mondial

Bien que le Canada ne soit qu’un joueur de soutien dans la saga ukrainienne, il doit continuer d’aider les Ukrainiens, en leur fournissant de l’équipement militaire et des renseignements. L’imposition d’une zone d’exclusion aérienne aiderait sans doute l’Ukraine, mais les conséquences pour le Canada, s’il participait à cet effort, pourraient être désastreuses, notamment parce que la Russie possède les capacités de mener des cyberattaques qui peuvent causer d’énormes dommages, par exemple forcer l’interruption des lignes de transmission d’Hydro-Québec et endommager d’autres infrastructures névralgiques qui pourraient paralyser des hôpitaux et causer des milliards de dollars en dommage. C’est ce danger de cyberattaques qui dissuade l’OTAN d’adopter une posture plus agressive en Ukraine.

L’invasion de l’Ukraine a aussi provoqué le déplacement de deux plaques tectoniques en géopolitique : primo, l’Allemagne s’est réveillée d’un long sommeil, dans lequel elle croyait que la guerre en Europe n’existait plus que dans les livres d’histoire. Le chancelier allemand déclare aujourd’hui vouloir augmenter ses dépenses militaires de façon significative et mettre un terme à la dépendance de son pays au gaz naturel russe, deux indicateurs que l’Allemagne prend au sérieux ses responsabilités comme un des leaders d’Europe. Secundo, la Russie est maintenant, en pratique, un État subordonné à la Chine. L’expulsion de la Russie du système financier international le laisse à la remorque d’un seul allié qui puisse assurer sa survie (la Chine) et confirme ainsi l’axe autocratique sino-russe pour des années à venir.

Face à cette nouvelle réalité, le Canada devra se forger une nouvelle identité dans ce monde plus dangereux. Poutine avait réussi à charmer plusieurs chefs d’État au début de sa carrière, comme Tony Blair et George W. Bush, mais Stephen Harper avait tout de suite compris qu’il représentait un danger pour la stabilité mondiale. Les futurs dirigeants du Canada devront eux aussi adopter une approche plus sérieuse dans ce nouveau monde, car une chose est certaine, les dogmes du passé tranquille sont très mal adaptés pour l’avenir orageux.

Ancien conseiller principal en affaires étrangères et sécurité nationale de Stephen Harper et conseiller principal de deux ministres des Affaires étrangères

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