Alors qu’au Québec et en Ontario, la vie publique est déjà rythmée par les élections générales automnales, du côté des provinces de l’Ouest, le climat politique n’est pas encore passé en mode pré-électoral. En effet, les gouvernements provinciaux de l’Ouest peuvent légalement rester au pouvoir jusqu’en 2023 (Alberta et Manitoba) et 2024 (Colombie-Britannique et Saskatchewan). Néanmoins, des mouvements de fond semblent annoncer des changements considérables au Manitoba et en Alberta.

Tout ce qui monte finit par redescendre

La politique canadienne contemporaine est caractérisée par un bipartisme imparfait. Règle générale, deux principaux partis politiques alternent au pouvoir, moyennant un certain nombre d’années et de mandats passés dans l’opposition, et vice-versa. Depuis une cinquantaine d’années, le système partisan manitobain a conduit tour à tour à l’élection de gouvernements néo-démocrates et conservateurs, ces derniers étant au pouvoir depuis 2015. En Alberta, le récent gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley (2015-2019) fut plutôt l’exception face à une série de gouvernements conservateurs.

Actuellement, les deux provinces des Prairies sont gouvernées par des bleus : Heather Stefanson, au Manitoba, et Jason Kenney, en Alberta. Ces deux premiers ministres ont aussi en commun de représenter les deux gouvernements provinciaux les moins populaires au pays : ils récoltent respectivement un taux d’approbation de 21 % et de 26 %.⁠1 Il s’agit d’un creux historique.

Recrudescence du NPD

Même s’il aimerait sans doute jouir d’un soutien plus fort, le conservateur Scott Moe, à la tête du gouvernement de la Saskatchewan, semble quant à lui en bonne posture pour résister au vent de gauche qui souffle sur les Prairies. À l’ouest comme à l’est de la Saskatchewan, toutefois, cette tendance lourde pourrait bien donner la victoire aux forces néodémocrates lors des prochaines élections provinciales.

Au Manitoba, le NPD dirigé par Wab Kinew domine dans les intentions de vote, moyennant un soutien d’au moins 41 % dans les sondages depuis décembre 2020. Au mois de novembre 2021, l’arrivée de Stefanson comme nouvelle cheffe conservatrice, et incidemment première ministre, n’a pas eu d’effet significatif sur les sondages.⁠2 Dans les circonscriptions urbaines, l’avancée des forces néo-démocrates est encore plus significative. C’est d’ailleurs aussi une tendance qu’on observe dans la province de Jason Kenney.

En Alberta, la cote de popularité du premier ministre a pris du plomb dans l’aile et ne semble pas près de se redresser. En plus de sa gestion désastreuse de la pandémie, le peu d’enthousiasme et le taux de participation famélique lors du référendum sur le système de péréquation, qu’il organisa en octobre dernier, ont donné d’importantes munitions à la cheffe néo-démocrate, Rachel Notley. Les résultats du référendum ont aussi montré le fossé grandissant entre les régions urbaines et rurales.

À la lumière des plus récents sondages produits par Angus Reid, le NPD albertain domine aussi les intentions de vote (42 %), et ce, depuis un certain temps déjà.

Rien ne laisse présager, pour le moment, une inversion de ce courant dans l’opinion publique. Les prochaines élections en Alberta et au Manitoba étant prévues seulement pour 2023, on ne saurait s’appuyer sur ces chiffres pour en conclure à une tendance définitive. Mais certains évènements prochains, au Manitoba tout particulièrement, risquent d’être déterminants.

Remplacer le député Pallister

Quelques semaines après que l’ancien premier ministre du Manitoba eut annoncé, l’été dernier, son départ imminent de la politique active (il fut remplacé par Heather Stefanson), Brian Pallister démissionnait formellement et abandonnait son siège de député de la circonscription urbaine de Fort Whyte, dans la région de Winnipeg. Conformément à la loi électorale manitobaine, une élection partielle doit avoir lieu d’ici la fin de mars 2022 pour élire un nouveau représentant de cette circonscription. Cette élection aura lieu le 22 mars prochain.

Créée en 1999, cette circonscription a toujours été représentée par des bleus. Qui plus est, non seulement les deux derniers élus de Fort Whyte étaient chefs du Parti progressiste-conservateur, mais ceux-ci y ont aussi toujours récolté plus de 50 % des bulletins de vote. Il s’agit d’un château fort conservateur au Manitoba.

Cette fois, cependant, les paris sont ouverts : en plus de l’ancienne directrice de l’Orchestre symphonique de Winnipeg (Trudy Schroeder, NPD), deux anciennes vedettes du club de football des Blue Bombers de Winnipeg (Obby Khan, Parti progressiste-conservateur ; Willard Reaves, Parti libéral du Manitoba) convoitent le siège laissé vacant par Pallister. En misant sur ces figures connues du public, et compte tenu de la montée en force du NPD chez les électeurs urbains de la province, chaque parti a une chance raisonnable de l’emporter.

Pour les libéraux, cette victoire ne serait pas que symbolique : un quatrième député sous la bannière rouge à l’Assemblée législative forcerait la reconnaissance institutionnelle du Parti libéral du Manitoba, ce qui s’accompagne de ressources et de privilèges parlementaires considérables.

Pour le NPD, on souhaite clairement envoyer le signal que le vent a changé de bord depuis les élections de 2019. On se présente ainsi comme un gouvernement en attente. Une victoire lors de la partielle donnerait du poids à leur message.

Pour le parti au pouvoir, on est désespérément en quête d’une victoire, quelle qu’elle soit. Mais même si on parvient à conserver le siège de Fort Whyte, une autre élection partielle dans la circonscription de Thompson est prévue d’ici juillet. On devra donc rester à l’affût. Et la prochaine fois, on jouera sur un terrain encore plus favorable au NPD.

Bref, on semble assister à une fin de cycle pour les conservateurs provinciaux au Manitoba, mais aussi en Alberta.

1. Voyez les résultats du sondage Angus Reid (en anglais) 2. Voyez les résultats du sondage Probe Research (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion
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