Le 14 septembre 2001, de bons amis m’ont sorti d’une léthargie induite par trois journées à tenter de comprendre ce qui s’était passé le 11.

Nous sommes allés au cinéma qui offrait Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Le parfait divertissement pour oublier, pour resituer l’esprit humain. Mais rien n’y changeait. Le 11-Septembre avait eu lieu et changeait définitivement notre vie collective.

Cependant, nombre de séries télévisées basées sur le quotidien n’y ont fait aucune référence, ne changeaient rien aux intrigues. A contrario, de nombreuses œuvres artistiques, architecturales et autres ont marqué le moment, immortalisé, enlisé dans notre histoire, bien qu’il ne s’agissait que d’une journée de l’histoire humaine.

Nous avons par ailleurs introduit dans nos vies le risque terroriste, en espérant, parfois faussement, le contraindre à certaines contrées isolées.

Que commémorera-t-on ?

Nous en sommes à deux ans de marche difficile dans les boues pandémiques et l’offre télévisuelle n’a pas, dans ses fictions, inclus le fait COVID-19. On constate les efforts de mise en scène pour distancier les acteurs sans que cela ne paraisse, sans masque, sans règles sanitaires. Dans un but de divertissement, jugé essentiel par les autorités, on fait comme si cette peste n’existait pas. La lieutenante-détective Simard a quitté District 31 sans accolade de ses collègues pour maintenir la distanciation sociale des acteurs, sans référence à la COVID-19. Et la série se terminera sans doute sans faire mention de la pandémie. C’est notre nouvelle réalité non circonstanciée.

Demain, le 11 mars. L’an dernier, après des appels publics au recueillement, le gouvernement est sorti de l’enceinte de l’Assemblée nationale, et le premier ministre François Legault, seul à prendre la parole, a souligné pendant quelques minutes les pertes humaines.

Ce n’est pas tout ce que nous avons perdu. Notre désir ou notre droit d’être ensemble, de partager, de socialiser au premier plan.

Je me demande ce qu’on commémorera demain, le 11 mars 2022, alors que dans l’esprit de plusieurs, nous aurons perdu deux années de vie, des proches, un mode de vie. Alors même qu’on permettait à nos « services essentiels culturels » de continuer à divertir sans référence aux drames en lien avec la COVID-19 qui s’étalaient dans la société civile.

La pandémie s’inscrit comme bien plus qu’un évènement isolé, avec des quotidiens bouleversés et plus de 12 000 vies écourtées, souvent dans des conditions déplorables par notre négligence collective et de gestion. Nonobstant, on œuvre à créer en faisant abstraction de la pandémie, de ses morts, de ses deuils, de son dérèglement des conventions sociales. Pourtant, l’art pourrait bien servir à traduire ce que les informations journalistiques ne montrent pas de la vie pandémique.

N’est-ce pas un écho à ce qu’on observe dans la société civile, avec les appels constants à retrouver la vie normale, à laisser l’économie s’emballer, à penser magiquement que le vaccin règle tout, à s’absoudre pour les erreurs ayant alourdi le bilan des décès et le délestage dans le système de santé ?

Demain, le 11 mars 2022, favoriserons-nous que l’oubli prenne le pas ou laissera-t-on s’exprimer une société qui a besoin de se ressouder, loin des discours politiques qui contamineront cette année électorale ? La société civile, et je parle de tout un chacun, a besoin d’arrêter pour repartir sur des bases qui prennent bien conscience de la réalité, cessant de faire comme si rien de ces deux dernières années n’était survenu. Par-delà les divergences d’opinions, il faut retrouver ce que les Anglais qualifient de common ground.

Entre rêves et réalisme

Ils sont loin dans l’histoire du Québec, les instants pendant lesquels des leaders nouveaux se sont levés et ont inspiré, s’appuyant sur les enseignements du passé pour proposer une vision de demain qui inclut tout le monde. Les politiques, animateurs et autres figures publiques ne savent plus instiller l’esprit collectif à s’investir individuellement et collectivement pour la fin de la pandémie.

Certes, la population est largement vaccinée et a généralement respecté les consignes sanitaires. Mais notre quotidien s’est éloigné, comme les fictions télévisuelles, des références à notre condition pandémique persistante.

Le discours sur la pandémie dans la population compte plus de « hâte d’en finir » que de « pensées pour les pertes et les endeuillés ». Heureusement, on a encore osé s’indigner lors de l’enquête du coroner Géhane Kamel et du rapport de la protectrice du citoyen du Québec, Marie Rinfret. Mais pour combien de temps ?

François Mitterrand, qui avait perdu la présidentielle française face au général de Gaulle, craignait l’emballement en déclarant : « Une politique qui se borne à brasser des rêves les trompe tous. Une politique qui les ignore se trompe sur la nature de ceux qu’elle prétend conduire. » Sommes-nous à ce type d’instant dans notre histoire collective alors qu’il faut choisir entre les rêves d’une société qui veut s’abstraire de l’épisode COVID-19 ou le réalisme de moduler les rêves à un monde qui s’est altéré irrémédiablement ?

Nos divertissements ne devraient plus s’inscrire en marge de nos vies avec la COVID-19. Ils devraient se conjuguer aux réalités quotidiennes, à ressentir plutôt que simplement mesurer la détresse des soignants, le deuil pathologique qui en afflige plusieurs. Il faut mettre la production de sentiments au service de l’esprit collectif.

Concomitamment, il est aussi du devoir des dirigeants et de chacun de s’investir dans notre redéfinition des rêves en occultant notre simple désir de retour à la normale. Notamment, notre système de santé a trop souffert pour simplement repartir sans heurts. Les enfants ont des retards éducatifs significatifs à rattraper. Et il est aussi illusoire que la majorité puisse entièrement conduire toutes ses activités d’emploi à distance.

Les demandes de chacun semblent actuellement énormes dans notre redéfinition de demain, témoignant d’un individualisme ayant pris le dessus sur l’investissement ressenti dans les débuts de la pandémie.

En tout et pour tout, on ne peut plus faire comme si… La pandémie a tué, sali. Demandons-nous individuellement si nous sommes prêts à quelques sacrifices pour participer à l’après-pandémie, à l’heure où de nombreux professionnels quittent leur profession ou songent à le faire, où les choix de carrière sont modulés par la facilité plutôt par que le désir de s’impliquer.

C’est un message que je voudrais voir s’installer et prévaloir. Ce n’est pas la science qui nous permettra de traverser ce que nous espérons être les derniers jalons de la pandémie, c’est un certain devoir d’abnégation et d’espoir raisonné. À moins que certains, je le crains, ne veuillent que nier quelque représentation au 11 mars, qui a inscrit la reconnaissance mondiale de la pandémie…

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