« Tout État a la politique de sa géographie », disait Napoléon Bonaparte.

Il était plus facile pour Vladimir Poutine de déclencher une guerre contre l’Ukraine, qu’il envisageait peut-être comme une simple promenade militaire, que de conclure l’affaire à son profit. Alors que la résistance ukrainienne et les réactions occidentales s’avèrent plus fortes que prévues, le tsar russe du moment en est réduit à cet aveu d’échec partiel que constitue la menace du nucléaire.

Le pire semble encore à venir, pour l’Ukraine bien sûr, mais aussi pour la Russie, l’Europe et le reste du monde.

Vladimir Poutine

On savait Poutine redoutable, capable d’une brutalité extrême, comme en Tchétchénie. On connaissait l’immense frustration de ce nationaliste russe à la suite du démantèlement de l’URSS, plus grande catastrophe géopolitique du XXsiècle, selon lui.

On était conscient de son refus de l’abaissement exagéré de son vieux et grand pays en Europe, à la suite du manque de sagesse des triomphateurs occidentaux des années 1990, incapables de tirer les leçons de l’histoire des empires, ou de l’histoire tout court.

Mais qui s’attendait vraiment à ce que Poutine déclenche une agression militaire tous azimuts contre l’Ukraine ? Sauf les services secrets américains, sur lesquels le président Biden s’est appuyé pour avertir que la Russie était à la veille d’envahir le pays, tout le monde le trouvait alarmiste, y compris les Ukrainiens.

L’Ukraine

Depuis 30 ans, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a graduellement incorporé tous les pays de l’Europe de l’Est autrefois membres du Pacte de Varsovie. La ligne rouge, c’était l’Ukraine, ex-partie de l’URSS, nation-sœur liée à la Russie par l’histoire, souvent pour son malheur – que l’on pense aux grandes famines imposées par Staline à ce peuple martyr dans les années 1930.

Depuis les années 1990, il a été régulièrement question de l’incorporation de l’Ukraine à l’OTAN, sans égard pour une Russie au départ favorablement disposée envers l’Occident et la démocratie, comme Poutine lui-même au début de son règne. On avait un moment évoqué un bloc de sécurité et de coopération incluant la Russie, de Vancouver à Vladivostok.

L’Ukraine étant rapidement devenue une démocratie où ses citoyens jouissent de libertés analogues à celles des Occidentaux, on peut comprendre que les Ukrainiens, y compris les russophones, se soient tournés vers l’Ouest face à une Russie sombrant dans la dictature. Une majorité d’entre eux appuient aujourd’hui l’adhésion de leur pays à l’OTAN.

Le problème est que ce n’est pas réaliste. On ne saura jamais si l’Ukraine aurait été sauvée du drame si les pays occidentaux avaient franchement reconnu qu’il ne pouvait être question de l’entrée dans l’OTAN de ce pays charnière dont le statut ne pouvait être que la neutralité. On peut douter que cela aurait arrêté un Poutine déjà très avancé dans sa nostalgie paranoïaque de l’URSS.

Un échec pour tous

Cette guerre donne le vertige. C’est une tragédie pour une Ukraine que l’on veut réintégrer de force dans l’orbite de la Russie, les Russes étant pour l’heure tenus dans l’ignorance de ce que leur pays fait subir à leur nation-sœur, une fois de plus violentée.

Mais c’est aussi un échec pour la civilisation russe au sens large, dont les aspirations à se rattacher à l’Occident sont anciennes : de Pierre le Grand, fondateur de l’européenne Saint-Pétersbourg, à cette Allemande fascinée par les philosophes du siècle des Lumières que fut Catherine II.

C’est enfin un échec pour l’Occident dont la Russie fait partie. Devant l’agression non provoquée d’une nation démocratique à ses portes, il en est réduit à des sanctions arrivant trop tard pour empêcher ce qui est fait, l’envoi d’armes par l’Allemagne risquant de rappeler aux Russes les mauvais souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, où les nazis s’étaient alliés à l’Ukraine contre la Russie.

Chine et États-Unis

Après le naufrage du monde arabo-musulman depuis 1945 – que l’on pense à ce que furent naguère Beyrouth, Alexandrie, la Syrie… –, c’est au tour de la civilisation russe de sombrer dans la tragédie. Certains se demandent si le drame ukrainien ne sera en définitive qu’un side-show, une répétition, dans une Europe en déclin comme la Russie elle-même.

Car l’avenir de l’humanité se jouera vraisemblablement en Asie, où un affrontement entre les États-Unis et la Chine – alliée implicite de la Russie – apparaît possible.

Comment ne pas faire l’analogie entre l’Ukraine et Taiwan ? Le caractère exagérément autocentré de cette immense île entre deux océans que sont les États-Unis, leur a fait commettre des erreurs comme cette gestion à courte vue de la chute de l’URSS, empire nucléarisé dont la désagrégation aurait pu ensanglanter l’univers mais se fit pacifiquement, la Russie demandant un respect que les États-Unis ne lui octroyèrent pas.

Mais pas plus que ces derniers, la Chine ne connaît véritablement le reste du monde. Cela augmente en Asie les risques d’une guerre encore plus dangereuse que celle en Ukraine.

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