C’est l’histoire de Raquel qui, pour changer de vie, débarque dans un village reculé du Brésil.

Elle fréquente l’église du coin et se lie d’amitié avec de jeunes filles évangéliques qui la poussent à approfondir sa spiritualité. La jeune fille revit la douleur de ses traumatismes profonds… les diktats restrictifs de l’Église évangélique ne lui conviennent vraiment pas. Elle tombe alors dans une angoissante spirale entre foi, raison et folie. C’est là qu’elle fait un rêve et se réveille avec la mission de propager une nouvelle version féministe de la Bible. Tout le monde fuit la fille excentrique : c’est le diable en personne, selon les gens de l’Église. Raquel finira par mettre le feu à l’église et tout brûler… mais elle ne tuera personne !

Ah oui, il faut que je vous dise : je viens de vous faire la description d’un film – une comédie horrifique – dans un pays où on ne badine pas avec la religion !

Nous sommes à la Berlinale. Oui, oui, le grand festival du film de Berlin. J’ai la chance d’être parmi les talons sélectionnés pour le Doc Toolbox à la Berlinale-European Film Market ! C’est à la mode pour nos institutions (SODEC, MEDIA, FMC…) de donner un coup de pouce aux gens de la diversité et aux femmes de nos jours, et j’en profite à fond !

J’ai passé deux semaines avec un programme merveilleux, c’est un peu la Rolls-Royce des formations. Ne m’enviez pas trop puisque j’ai fait tout ça sur Zoom.

Avec les restrictions liées à la maudite pandémie, tout ce que j’ai vu de Berlin, c’est le contour de mon écran d’ordinateur qui demande à être dépoussiéré !

Pour revenir à l’histoire de Raquel, la fille qui a mis le feu à l’église, c’était juste un résumé pour nous mettre en contexte, car nous sommes dans une formation sur la mise en marché des films. La distributrice brésilienne Lidia Damatto nous explique les subtilités lors de la conception d’une affiche de film : un peu de sang sur la robe de Raquel ou des auréoles autour de sa tête, ça change tout le sens d’une affiche. Encore plus complexe, elle explique comment les pays, selon leur culture, adaptent les affiches et les bandes-annonces des films.

Lors de ces formations annuelles dans l’un des festivals de films les plus prestigieux au monde, on nous raconte que, normalement, des liens se tissent entre les cinéastes du monde entier. Nous, la cohorte de cette année, n’avons pas eu cette chance. On avait l’air pas mal paumé, chacun derrière son écran d’ordinateur à des heures pas possibles, le décalage horaire ne pouvant pas tous nous accommoder. On était de partout dans le monde, des gens de la diversité pour nous aider à rattraper le temps perdu de l’inclusion. Du Canada, des Caraïbes, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

De jeunes cinéastes qui aspirent à changer le monde, chacun à sa façon, chacun avec un projet qui force à ouvrir les yeux sur une autre façon de voir le monde. Tout ça n’est plus qu’un village réuni sur Zoom !

Changer le monde n’est pas facile pour notre distributrice et formatrice du Brésil Lidia Damatto. Leur président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, leur a carrément coupé les vivres. Plus de financement public pour le cinéma et la culture depuis son élection : c’est quoi cette affaire de financer des œuvres qui vont le critiquer ?

Lidia Damatto profite d’une petite pause pour nous raconter de petites anecdotes sur son travail dans le Brésil immaculé du président Bolsonaro. Le cinéma brésilien agonise et, pour survivre, les producteurs se sont tournés vers le financement privé. Il est alors très important de mettre le nom de tous les contributeurs sur l’affiche des films, car il faut bien que les riches industriels voient leurs noms partout quand ils financent des films…

Oh mince ! Lidia est embêtée, elle vient de remarquer que sur l’affiche du film Raquel 1,1, un des financements vient d’un ami de Bolsonaro, qui a financé sa campagne électorale. Décidément, ce film controversé qui s’attaque à l’Église évangélique va encore leur attirer des problèmes. Elle commence à rire d’une façon presque nonchalante et, dans un anglais chantant, ajoute : « On va passer un mauvais quart d’heure à la sortie de ce film. » Elle nous sort en même temps la phrase populaire des Brésiliens qui exprime si bien la difficulté de vivre sous le régime de leur président : « Le Brésil ce n’est pas pour les novices ! » (Brazil is not for beginners.)

Lidia termine la petite pause sur une note d’espoir : « On espère que Lula sera bientôt réélu. »

PHOTO CARLA CARNIEL, REUTERS

Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, a été président du Brésil de 2003 à 2010.

Justement, Lula… Le lendemain, la présentation du Toolbox était avec The Intercept, la plateforme journalistique d’investigation créée par Gleen Greenwald, ex-journaliste du Guardian à l’origine des révélations d’Edward Snowden, et financée par le fondateur d’eBay, Pierre Omidyar. Une boîte qui s’est donné pour mission de « poursuivre la quête de la vérité » dans le monde. C’est grâce à une enquête de The Intercept que l’ancien président brésilien Lula (2003-2010) est sorti de prison, prouvant son innocence.

Chaque fois que mon écran s’éteint après une présentation du Toolbox, je pense à toutes les rencontres et aux échanges que nous avons ratés en étant sur Zoom. Imaginez toutes les histoires que j’aurais pu vous raconter si j’avais été physiquement à Berlin.

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