En 2008, Ottawa conclut une entente avec la Colombie-Britannique pour le transfert de la gestion de services à l’emploi. Comme la province n’a pas les mêmes obligations que le fédéral en matière de langues officielles, cette entente mène au démantèlement d’un réseau mis sur pied par le fédéral en partenariat avec des organismes francophones dans le respect de la partie VII de la Loi sur les langues officielles (LLO), qui vise l’épanouissement des minorités de langue officielle. Ce faisant, des centres offrant des services en français sont fermés, privant les francophones de soutien dans leur langue et de lieux de socialisation nécessaires à sa survie.

La cause est portée devant les tribunaux. Comme toujours, cela prend un temps fou avant d’obtenir des réponses. Dans son jugement rendu le 28 janvier dernier, la Cour d’appel fédérale soutient que le gouvernement canadien n’a pas tenu compte des effets dommageables de cette entente et a donc failli à ses engagements en matière de langues officielles.

Un dossier qui s’enlise

Bien que cette décision soit passée sous le radar, elle s’ajoute à une longue série d’évènements ou d’incidents illustrant la stagnation ou les reculs en ce qui a trait à la place du français au pays. On se rappelle le discours unilingue anglais du président d’Air Canada à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Certes, l’évènement a fait couler beaucoup d’encre. Devant l’opprobre public, le principal intéressé s’est engagé à apprendre le français, mais on devra sans doute attendre longtemps pour un changement de culture chez Air Canada, l’un des plus grands contrevenants à la LLO.

Au début de la pandémie, le français a aussi été malmené avec des conférences de presse unilingues ou l’absence de traduction des étiquettes de produits sanitaires. Comme si les francophones ne méritaient pas, en période de crise, de recevoir des informations claires dans leur langue.

Un sondage mené par le Commissariat aux langues officielles est aussi venu mettre en lumière l’insécurité linguistique des fonctionnaires fédéraux : 44 % des répondants francophones ont affirmé ne pas se sentir à l’aise d’utiliser le français au travail, un phénomène troublant dans une fonction publique bilingue.⁠1

Bref, le dossier des langues officielles s’enlise. Et la modernisation de la LLO se fait attendre depuis trop longtemps. Le discours du Trône du 23 septembre 2020 permettait de garder espoir. Le gouvernement canadien y rappelait la nécessité de « protéger et de promouvoir le français » et s’engageait à renforcer la Loi sur les langues officielles en « tenant compte de la réalité particulière du français ». Depuis, il y a eu le dépôt d’un projet de loi sans suite en raison des élections et un changement de ministre. L’échéance pour la livraison du nouveau projet de loi, fixée au début du mois de février, a encore été repoussée.

Une loi pour l’égalité réelle

Au moment de sa création, en 1969, la Loi sur les langues officielles avait des visées réparatrices. Le pays traversait une crise nationale intense. La communauté intellectuelle et les responsables politiques s’inquiétaient de la pérennité même de la fédération dans un contexte de montée du nationalisme québécois. La LLO faisait partie d’un arsenal de recommandations formulées par la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme pour rapprocher les « deux solitudes » et créer une égalité des chances réelle entre les anglophones et les francophones. À l’époque, les études avaient dévoilé l’infériorité économique des Canadiens français et les barrières entravant leur épanouissement.

Lors de son entrée en vigueur, la LLO a engendré une certaine détente des relations entre les anglophones et les francophones. Il était devenu plus acceptable de parler français d’un bout à l’autre du pays : les « Speak White » se faisaient plus discrets. Sur le terrain, des gains importants ont été obtenus par les communautés francophones.

Pour atteindre ses objectifs, la modernisation de la loi devra miser sur des applications concrètes de sa partie VII qui « prévoit que toutes les institutions fédérales ont l’obligation juridique de prendre des mesures positives pour remplir leur engagement à veiller à ce que le français et l’anglais aient un statut égal dans la société canadienne ». En effet, comme le rappelle le spécialiste des minorités linguistiques Rodrigue Landry, « si les buts ambitieux de la partie VII ne se traduisent pas dans des objectifs concrets et réels de vitalité communautaire, et dans des engagements et des responsabilités claires pour le gouvernement, la LLO risque d’être importante en apparence vu son caractère symbolique pour le pays, mais sans effet significatif sur l’égalité réelle des deux grandes communautés linguistiques concernées. »2

Mais plus de 50 ans plus tard, on peut aussi constater les faiblesses de la Loi : rendre la fonction publique fédérale bilingue n’a pas rendu les Canadiens plus bilingues et n’a pas nécessairement permis de créer ces espaces de vie essentiels au rayonnement du français.

Même avec une loi plus forte, les problèmes de la francophonie canadienne vont perdurer tant que de l’ambition politique n’aura pas été démontrée dans ce dossier. En 1969, c’est autant la conversation nationale entre les Canadiens sur l’importance du bilinguisme comme pilier identitaire du Canada moderne que la LLO en tant que telle qui ont permis des avancées. Pour le moment, cette conversation sur la modernisation se déroule surtout dans les cercles d’initiés et le fait de ne pas l’élargir pourrait entacher les retombées de cette refonte tant attendue.

1. Consultez les résultats du sondage sur l’insécurité linguistique au travail 2. Consultez le rapport « Mission impossible ou œuvre inachevée ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion