Il y a presque trois semaines, au tout début des manifestations du « convoi de la liberté » d’Ottawa, j’avais écrit un papier qui parlait de l’importance de l’amour et de paix. C’était le samedi matin, tout juste avant l’installation des lourds camions dans la capitale. Je me suis réveillée avec le titre en tête et je savais que le reste du texte suivrait. Puis, voyant que la manifestation se déroulait plutôt bien, je me suis mise à douter de mon angle. Peut-être y avait-il assez d’amour de ce côté-ci de la frontière. Peut-être que ma comparaison avec les fils de l’oncle Sam, mon parti pris et ma peur de voir la pensée du sud monter au nord – je parle de la mouvance alt-right – étaient boiteux. Tant mieux. Le papier n’a pas été publié.

Mais. Depuis.

Je ne reviendrai pas sur tout ça. Vous savez déjà. Les drapeaux, le financement, les enfants, le spa.

Au travers, des drapeaux de la Confédération Haudenosaunee (iroquoise) et des guerriers mohawks, et des tambours. Je ne suis pas Mohawk, mais pour avoir vécu à Kanesatake pendant huit ans, je connais une chose ou deux. Une de celles-là, c’est que je mettrais ma main au feu que les chefs et leaders de la confédération n’ont en aucun temps donné leur accord à l’utilisation de leur drapeau pour cette manifestation. Je mettrais mon autre main au feu en affirmant qu’une bonne partie de ceux qui jouaient du tambour et dansaient n’était pas Autochtones. Nos protocoles et tout ce que nous sommes et représentons ont été instrumentalisés, une fois de plus.

Je déteste la chicane. Je déteste la guerre. Entre les deux, je déteste encore plus peut-être l’injustice. C’est d’ailleurs pour ça que j’écris ici.

Il y a deux ans jour pour jour, toute l’actualité était tournée vers les Wet’suwet’en et ce que les médias avaient appelé au mieux : la crise ferroviaire, au pire : la crise autochtone. Parce que cette crise était loin d’être entièrement autochtone. Les gens qui se trouvaient sur les rails provenaient de partout. Les personnes appréhendées, elles, étaient bien autochtones. Presque toutes. Du moins, sur le territoire traditionnel des Wet’suwet’en. Vingt-huit personnes avaient été arrêtées par la GRC à la suite de l’obtention d’une injonction par la compagnie Coastal GasLink pour un gazoduc important qui devait passer sur le territoire des Wet’suwet’en.

Depuis ces évènements pré-covidiens, les négociations se sont enlisées dans un lit de statu quo. Sur le tableau, une cinquantaine d’arrestations supplémentaires. Presque tous des Autochtones. Des femmes et des aînés dans le lot. Il y a 10 jours, une plainte a d’ailleurs été déposée à l’ONU par les opposants au gazoduc pour violation de plusieurs articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

De nombreuses différences séparent les évènements d’Ottawa et ceux de la Colombie-Britannique. Les uns ont brûlé des milliers de litres de pétrole pour se faire entendre, les autres veulent empêcher le pétrole de couler sur leurs terres. Les uns parlent de liberté, peut-être parce qu’ils la connaissent trop, les autres ne peuvent que l’espérer, parce qu’ils ne la connaissent plus. Les deux camps (davantage si on compte les duplicatas régionaux) sont toutefois prêts à rester sur place aussi longtemps qu’il le faudra pour défendre leurs convictions.

Mais qui se fait arrêter ? Au moment d’écrire ces lignes, à Winnipeg, par exemple, sur des centaines de manifestants bruyants et troublant l’ordre public, les seuls à avoir été arrêtés sont deux Autochtones qui s’opposaient au convoi de la liberté, version winnipegoise. Le Grand chef Daniels, de la Southern Chef’s Organization, n’hésite pas à parler de « double standard » basé sur la race en lien avec ces arrestations.

Avant même ces évènements de samedi dernier à Winnipeg, on entendait déjà des personnes, autochtones comme allochtones, poser la question suivante : et si les manifestants d’Ottawa avaient été en majorité autochtones, pour une cause humaine de base comme l’accès à l’eau potable, par exemple, est-ce que la patience des policiers et des gouvernements aurait été la même ?

À cette question, j’ajoute celles-ci : est-ce que le financement aurait été équivalent aux millions de dollars reçus pour le « convoi de la liberté » ? Avec cet argent, on aurait certainement pu régler le problème d’eau potable dans une couple de communautés, non ? Rappelons également que la dernière fois que le gouvernement canadien a fait intervenir l’armée dans un conflit, ce n’est pas pendant la crise d’Octobre de 1970, mais bien pendant la crise d’Oka de 1990.

Revenons à l’amour et à la paix. Cela ne semble pas être notre plus grand problème. Pour parler d’amour, il faut savoir parler de haine et de guerre. Pour parler de liberté, il faut savoir parler de servitude, d’esclavage. Certains d’entre nous pourraient possiblement le faire, une minorité.

Si on continue à ne penser qu’à soi, à voir les choses à travers ses propres lunettes du « double standard » faites sur mesure pour nous et par nous pour répondre à nos besoins, alors je ne sais pas à quoi ça sert de vivre en société. À bien y penser, notre problème, c’est peut-être celui du manque d’humilité à voir les choses comme elles sont.

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