Dans toute bonne famille, qu’elle soit recomposée ou élargie, se trouve au moins une personne qui doit avoir raison. Peu importe le sujet, peu importent les enjeux – son point de vue doit prévaloir. Les faits et les arguments s’entrecroisent souvent sans cohérence ni fil conducteur. Habituellement avec beaucoup d’émotion. La recherche de sujets neutres pour éviter les dérapages peut provoquer beaucoup d’anxiété à l’approche d’une fête familiale.

J’ai toujours été admiratif des consensus que dégage n’importe quel rassemblement de libéraux fédéraux. Qu’ils soient dans l’opposition ou au pouvoir, qu’ils soient cent ou mille. Même si des débats enflammés se succèdent derrière les portes closes, en public, une solidarité soviétique s’installe, laissant rarement place à la dissidence. Les contrariés se taisent, se cachent ou héritent d’une ambassade. On épargne aux électeurs les messages contradictoires, ce qui est habituellement sage, les experts en communication le confirmeront.

Si les opérations de relations publiques des libéraux se comparent à une performance du Lac des cygnes, celles des conservateurs se rapprochent plus d’un gala de lutte de la WWE.

Le congédiement d’Erin O’Toole cette semaine s’est opéré sous l’égide d’une loi adoptée en 2015 permettant aux députés d’un parti de dégommer leur chef. Largement inspirée d’un modèle britannique – qui menace d’ailleurs actuellement le premier ministre Boris Johnson –, personne ne s’étonnera que les conservateurs soient les premiers à s’en prévaloir au Canada. Et comme les conservateurs ont toujours une bonne réserve d’électrons libres dans leurs rangs, il ne faudrait pas se surprendre si cette épée de Damoclès reprenait du service.

La performance de M. O’Toole comme chef ne laissera pas que de bons souvenirs. Il donnait l’impression – surtout depuis la défaite électorale de septembre dernier – d’être un homme traqué prêt à tout accommodement pour calmer ses oppresseurs. Une personne en quête de repères au milieu d’une mer déchaînée. Même la présentation récente d’un mémoire plutôt bénéfique à la cause de M. O’Toole, préparé par un ex-député conservateur chargé de faire la lumière sur les résultats électoraux, ne lui aura pas épargné l’échafaud.

Ce congédiement juxtaposé à des déclarations fracassantes de certains députés autour des manifestations de camionneurs et des règles sanitaires laisse beaucoup d’électeurs songeurs. Parmi ces électeurs, beaucoup proviennent de banlieues importantes au Canada dont le poids électoral n’est plus à démontrer.

Les conservateurs se gargarisent d’avoir remporté le suffrage universel aux dernières élections. Soit, mais pour gouverner, il leur faudra faire des percées dans de nombreuses circonscriptions où des voix plus posées et des politiques un peu plus nuancées seront nécessaires.

Contrairement aux Américains qui se plaisent dans la polémique, les Canadiens recherchent les consensus et abhorrent les divisions. Ils ont aussi une image idéaliste de leur pays parfois déconnectée de la réalité. On se surprend toujours d’apprendre qu’il existe encore beaucoup de Canadiens qui s’opposent à l’avortement ou qui ne prennent pas au sérieux les répercussions des émissions de gaz à effet de serre. Récemment, ce sont les antivaccins – certains parmi nos amis ou collègues de travail – qui nous obligent à prendre acte que la dissidence (ou la bêtise) existe, même à l’égard d’enjeux considérés comme fondamentaux.

Que ces personnes sollicitent des appuis chez nos parlementaires ne me surprend ni me choque. Notre Parlement se veut le reflet de notre société – s’il faut applaudir l’émergence à Ottawa d’une classe politique issue de minorités visibles, il faut du même coup souhaiter une pluralité d’opinions.

Mais les élus du Parti conservateur, faut-il l’admettre, se retrouvent souvent en terrains minés. Ces sujets controversés se retrouvent plus naturellement dans leur boîte de courriels. Malheureusement, trop d’entre eux se transforment en faire-valoir plutôt qu’en porte-voix. Non seulement rapportent-ils les inquiétudes de leurs électeurs, mais ils choisissent souvent de les épouser sans discernement. Sans la présence d’un chef avec un ascendant, ce bruit devient assourdissant et provoque des crises existentielles à répétition.

Si le Parti conservateur devait glisser vers la droite à la suite de la prochaine campagne au leadership, aux prochaines élections, il s’échouera encore sur les récifs du centre qui prime au Canada. Ultimement, le parti bifurquera vers le centre, comme il l’a fait en 2003 après le mariage du Parti progressiste-conservateur et du Parti réformiste. Les réformistes, avec cinq fois plus de députés et des moyens financiers pharaoniques, s’étaient présentés à l’autel avec une proposition de partenariat. Les réformistes savaient qu’ils avaient besoin des progressistes-conservateurs pour espérer gagner. Et s’ils l’ont oublié, les électeurs le leur rappelleront.

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