De la récente élection fédérale au Canada, je retiens la polarisation et demeure secouée par la violence réservée au premier ministre Justin Trudeau, lors de certains de ses arrêts de campagne. Je suis ébranlée par nos divisions, de plus en plus profondes. Naïvement, je nous croyais presque à l’abri de ces tendances observées ailleurs.

Depuis au moins 10 ans, nous avons vu cette division et cette polarisation s’amplifier chez nos voisins du Sud – citoyens d’un pays qui, de plus en plus, n’a d’unis que son nom. Là-bas, comme ici, cette polarisation et cette division sont ennemies de la nuance. Elles sont affreuses et, maintenant, elles sont aussi les nôtres.

On les retrouve au cœur des chaînes américaines de nouvelles en continu. Et si ces dernières ne sont pas les seules coupables à l’origine de cette division et de cette polarisation, elles en sont en grande partie responsables. Le courant passe par là.

D’un côté, MSNBC et CNN, de l’autre, Fox News. Chacune ayant, comme pilotes de leurs émissions les plus populaires, des animateurs qui sont aussi agitateurs et qui livrent des monologues d’attaques contre l’Autre.

Ils n’essaient de camoufler ni leurs allégeances politiques ni leurs idéologies. C’est une recette qui a construit l’image de ces réseaux et qui a contribué à remplir leurs coffres.

Les chiffres⁠1 donnent le vertige. En 2020, les trois réseaux ont cumulé près de 6 milliards de dollars américains en revenus.

Mais le vent serait-il en train de tourner ? L’année dernière, une baisse de cotes d’écoute de ces chaînes câblées a été observée. Un constat auquel le président Joe Biden a récemment fait allusion, lors de sa conférence de presse marathon du 19 janvier dernier. « Pour l’instant, Fox News s’en sort, mais d’autres pourraient disparaître de la conversation dans quatre ou cinq ans », disait-il dans sa critique de la consommation médiatique non diversifiée des Américains.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer qu’il y ait moins de téléspectateurs, certes. Mais parmi eux, il y a la création de nouveau contenu média basé sur l’unité. C’est une solution qui plaît à beaucoup et que l’on retrouve de plus en plus sur d’autres plateformes. Van Jones, régulier de CNN et alumnus de l’administration Obama, anime depuis quelques mois la balado Uncommon Ground. Comment trouver des solutions aux problèmes qui divisent ? Avec ses invités, Van Jones tente d’y répondre. Les « big 3 » font un exercice similaire dans leurs bulletins de nouvelles phares, à heure de grande écoute. Avec les segments « America Strong » d’ABC, « Inspiring America » de NBC et « A More Perfect Union » de CBS, l’accent n’est pas mis sur ce qui est brisé aux États-Unis. À la place, on braque les projecteurs sur les façons dont les Américains peuvent le réparer, ensemble. Il y a aussi le compte Twitter @Goodable, qui ne publie que des nouvelles positives et inspirantes. Le compte est si populaire que @Goodable s’apprête à lancer une application pour appareils mobiles.

La popularité de contenu comme celui de Goodable, de la balado de Van Jones et des segments de nouvelles qui font du bien n’a pas échappé à Jeff Zucker, patron de CNN. Architecte de la plateforme de streaming CNN+, qui sera lancée en mars, Zucker semble avoir compris qu’il faut offrir aux consommateurs autre chose que de la colère. On le voit dans la programmation annoncée. CNN+ sera un mélange d’émissions qui auront l’espace pour mettre les choses en contexte et pour présenter de la nuance et des possibilités de résolution – nous rappelant que tout ça est encore possible.

La polarisation est devenue une star. En vedette sur les plateaux de chaînes de nouvelles en continu et ruisselant dans les réseaux sociaux, dans les débats politiques et dans les campagnes électorales. Jeff Zucker promet que CNN+ offrira un autre style de stars, des vraies.

Il faut le croire. En allant chercher de grands noms comme Chris Wallace, anciennement de Fox News, l’actrice Eva Longoria et l’ancienne coqueluche de NPR Audie Cornish, en plus d’y offrir de nouvelles émissions à des valeurs sûres de la maison-mère, comme Anderson Cooper et Fareed Zakaria, Zucker a des airs de George Steinbrenner en 1998. Alors propriétaire des Yankees de New York, Steinbrenner avait monté une équipe de rêve en allant chercher les meilleurs joueurs de baseball sur le marché. Cette même année, les Yankees étaient sacrés champions du monde.

CNN+ sortira-t-elle gagnante dans un marché de streaming qui deviendra de plus en plus compétitif ? La plateforme est-elle annonciatrice d’un nouveau genre de média influent ? Le succès de ce genre de contenu est important, parce que si prendre le temps de présenter les histoires différemment paie et parler d’unité continue d’être rentable, plus de médias s’y mettront. Ce possible changement est rassurant. Il ne réglera pas tous nos maux, et l’objectif n’est pas de laisser tomber les médias traditionnels et de tourner le dos aux nouvelles qui rapportent ce qui va mal. Plutôt, l’objectif est d’avoir accès à plus de choix et d’avoir une diète médiatique plus équilibrée qui, peut-être, freinera la division et l’incompréhension de l’autre.

Des Américains, nous avons hérité de la polarisation. Peut-être hériterons-nous aussi de ce début de volonté de sembler vouloir la contrer ?

1. Source : Kagan, S&P Global Market Intelligence

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