Que faisiez-vous le 2 janvier à 11 h 47 ? À cette minute précise, les 100 Canadiens les plus riches ont fait l’équivalent du salaire annuel d’un Canadien moyen. Un rapport d’OXFAM nous apprend que les 26 personnes les plus riches au monde ont autant de richesses collectives que la moitié la plus pauvre de l’humanité entière.

Aussi, saviez-vous que la différence d’espérance de vie des gens de certains quartiers de l’est de Montréal, moins fortunés, par rapport à ceux de l’ouest de la ville, plus aisés, est de neuf années ? Ces exemples ont pour but de montrer que les iniquités de revenus et de richesse existent, et ce, même au Canada et au Québec, et qu’elles entraînent des conséquences.

À ce sujet, les travaux très instructifs des Britanniques Wilkinson et Pickett⁠1 nous expliquent que les iniquités de revenus et de richesses sont associées à plus de grogne sociale, de détresse psychologique, de consommation de substances licites et illicites, d’obésité, de grossesses non désirées chez les adolescentes, d’intimidation dans les cours d’école, de taux d’emprisonnement, d’émissions de CO2, de consommation excessive et d’interventions policières, en plus d’être reliées à moins de littératie, d’innovation et de mobilité sociale, à une moins bonne santé infantile et à une espérance de vie plus courte.

PHOTO BALINT PORNECZI, ARCHIVES BLOOMBERG

Le Salon international de superyachts de Monaco, en 2019

Nos sociétés méritent de bénéficier de l’actualisation du plein potentiel de tous ses citoyens et les iniquités sont en notre défaveur collective, il s’agit là d’un ennemi commun.

De façon générale, les gens reconnaissent que tous ne méritent pas le même salaire ou les mêmes richesses. Ce serait, ça aussi, inéquitable. Mais la question est de savoir quelle différence il doit y a avoir entre la personne qui gagne le plus et celle qui gagne le moins, dans un système social fonctionnel.

Une recherche impliquant plus de 55 238 personnes, dans 40 pays, permet d’avoir des éléments de réponse à cet égard. Les résultats soutiennent l’idée que les gens sous-estiment drastiquement l’iniquité actuelle. Par ailleurs, ce qui semble commun à toutes ces personnes, c’est que le ratio multiplicatif idéal entre le plus bas et le plus haut salaire (par exemple, entre celui d’un PDG et celui d’un travailleur d’entrée), est de cinq pour un. En d’autres mots, en moyenne, le salaire le plus élevé devrait être celui le moins élevé, multiplié par cinq. Ce qui est particulièrement important à souligner, c’est que cette comparaison tient la route peu importe l’âge, l’éducation, le statut socio-économique et l’affiliation politique (droite ou gauche). Nous avons donc toutes et tous un désir universel pour un salaire équitable, peu importent nos origines et inclinations.

Satiété financière

L’équité est l’inégalité justifiée, et il semble que l’être humain puisse tolérer sans difficulté une différence de cinq fois le salaire. Une fois ce fait établi, on peut se poser la question, encore plus délicate mais ô combien importante, de savoir à partir de combien d’argent un salaire est « suffisant » ou optimal. En d’autres mots, existerait-il une notion de satiété financière ?

Un article publié dans la très prestigieuse revue Nature (Human Behavior), en 2018, a utilisé des données de 1,7 million de répondants répartis dans 164 pays. Cet article visait à établir à quel point l’argent peut prédire efficacement le bien-être subjectif, généralement mesuré par plus d’émotions positives et de satisfaction de vie, et moins d’émotions négatives. Pour l’Amérique du Nord (sans distinction de pays, de régions ou de villes), l’effet maximal de l’argent sur le bonheur se situe à 65 000 $ pour le plus d’émotions positives, 95 000 $ pour le moins d’émotions négatives et 105 000 $ pour un niveau optimal de satisfaction de vie. Ces données sont en dollars américains de parité de pouvoir d’achat, ce qui est imparfait, mais qui donne tout de même une première approximation. Ce qui est saisissant de cette enquête, c’est que l’effet positif de l’argent diminue une fois ce seuil dépassé.

Il existerait donc un niveau optimal de richesse qui permette de stimuler le plus possible un fonctionnement optimal chez la très grande majorité des membres d’une société. Il faut donc tendre vers cet idéal, mais comment ?

Depuis quelques millénaires, le moyen privilégié pour tendre vers l’équité (puisqu’il s’agit là d’un désir universel) est l’utilisation des taxes et impôts, qui sont des responsabilités collectives. Si on retourne à la prémisse démontrée plus haut que tout le monde (de droite ou de gauche) a un désir universel de distribution de richesse équitable (et non égalitaire), quel serait le ratio idéal à respecter ? Nous avons vu qu’il y avait un niveau de salaire qui permet d’atteindre une satiété financière (le montant resterait à être spécifié pour des régions géographiques précises, mais les grandes balises sont connues) et que les différences sont tolérables à l’intérieur d’un ratio de 5 pour 1 (environ), il s’en suit que les taxes et impôts sur le revenu et la richesse devraient sensiblement suivre ces mêmes paramètres.

À ce sujet, le célèbre auteur français Thomas Piketty propose une solution déconcertante de simplicité qui ferait montre d’une bonne efficacité. Celle-ci reprend la notion de facteur multiplicatif du revenu selon la moyenne de chaque système social. Alors que le taux de taxation serait de 50 % lorsque le salaire est 5 fois le revenu moyen (ce qui correspondrait à environ 280 000 $ pour le Québec), celui-ci atteindrait 90 % lorsque le salaire est de 10 000 fois le revenu (ce qui serait 560 millions de dollars au Québec). Si ces seuils étaient acceptés mondialement, sans l’existence d’États dévoyés qui nous volent collectivement avec une course au plus bas taux d’imposition, les gouvernements pourraient efficacement offrir les services aux communautés et citoyens, tout simplement.

On peut se demander pourquoi les plus fortunés seraient contre. Certes, leur prestige relatif diminuerait. La sécurité financière de leurs descendants et certains privilèges seraient touchés, et il faudrait également réajuster leurs attentes par rapport aux capacités d’agir que procure l’argent, car ils en auraient moins. En même temps, ce que les recherches nous apprennent, c’est que les réductions d’iniquités sont liées à moins d’instabilité et de crises économiques, à un taux d’endettement moindre, à une inflation plus contenue et à un climat social moins dangereux. Qui plus est, moins d’iniquité semble être positivement reliée à la croissance économique en plus d’être associée à plus de productivité. Voilà autant d’arguments militant en faveur de moins d’iniquités, même pour les plus aisés ou capitalistes d’entre nous.

Il faut changer nos lunettes pour cesser de voir l’argent uniquement d’un point de vue économique et admettre collectivement que l’argent a des significations et effets psychologiques.

La science démontre qu’on peut vouloir faire de l’argent pour contribuer à des causes importantes, vivre des expériences variées, se sentir libre ou fier ou encore par comparaison sociale, par impulsivité ou pour surmonter ses doutes personnels. Selon ces significations, l’argent peut avoir des effets positifs ou négatifs, et c’est la même chose pour les taxes et les impôts. Une enquête nous venant de Harvard nous indique que les personnes voyant l’impôt comme une responsabilité, même les personnes fortunées, sont plus enclines à payer leurs impôts et à ne pas tricher. Il s’agit là d’une attitude que l’on peut stimuler.

La séquence logique observée par la recherche est que la taxation progressive diminue les iniquités, ce qui en retour augmente l’équité et la confiance, ce qui a ensuite un impact à la hausse sur le bien-être subjectif collectif. Ce qui est important à retenir ici est que, si nous réussissons efficacement à vaincre notre ennemi commun qu’est l’iniquité, les bienfaits seront vécus autant par les fortunés que par les moins fortunés ; tout le monde en sort donc gagnant.

En conclusion, l’être humain a un désir universel pour plus d’équité (et non pas d’égalité), la notion de satiété financière existe et l’équité peut être maintenue si l’écart ne va pas au-delà d’un facteur multiplicatif de cinq. Pour les années à venir, je souhaite que nous nous dotions d’un plan qui permet de stimuler le fonctionnement optimal chez la très grande majorité de nos concitoyens et concitoyennes, et ce, en étant éclairés par la science. Osons nous doter de politiques qui mettent ces faits scientifiques en action, de manière universelle et efficace.

* L’auteur est également psychologue et membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

1. The Inner Level : How More Equal Societies Reduce Stress, Restore Sanity, and Improve Everyone’s Well-Being, Richard Wilkinson et Kate Pikett, Penguin Books, 2019

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