« C’est inacceptable, il faut que ça change ! » Voilà ce que j’entends de la bouche de nos équipes et de nos partenaires communautaires ! Infirmière de rue pour Médecins du monde depuis 2006, je constate, hiver après hiver, que les crises se répètent et s’intensifient, sans que des solutions adaptées ne soient mises en place.

Si la situation était déjà problématique avant la pandémie de COVID-19, elle est devenue critique en raison de la conjugaison de plusieurs facteurs, comme la crise du système de santé, l’éclosion de COVID-19 dans les refuges en itinérance, le manque de ressources humaines dans tous les milieux de travail, la crise du logement, mais aussi le sous-financement chronique des organismes communautaires.

J’ai vu tant de personnes partir trop vite, seules, anonymes. En tant que société, avons-nous fait tout ce qui était en notre pouvoir pour éviter ce drame ?

On a beau prétendre que les places d’accueil en hébergement d’urgence sont présentement suffisantes, la réalité est que nous ne sommes pas capables de mettre tout le monde hors de danger quand cela est nécessaire.

C’est ce que constate l’équipe de Médecins du monde, à l’œuvre dans les rues et les organismes communautaires pour offrir des soins de première ligne, tant physiques que psychologiques, aux personnes en situation d’itinérance, pour qui l’accès aux soins de santé est un parcours parsemé d’embûches.

Le manque de ressources dans les organismes communautaires qui œuvrent en itinérance enferme les personnes dans un mode survie, puisqu’elles ne trouvent pas de réponse à leurs maux. Elles se concentrent alors sur leurs besoins de base : se mettre au chaud et se nourrir. Le reste passe au second plan, ce qui compromet davantage encore leur santé physique et mentale, à moyen et à long terme.

Un système dépassé

Tout semble avoir évolué dans la mauvaise direction. Les refuges qui débordent et la mise en place, à la dernière minute, de haltes-chaleur temporaires sont le signe d’un système dépassé. Si elles sont une solution pour faire face à la crise, personne ne devrait s’en satisfaire. Ce fonctionnement en urgence crée une énorme pression sur les personnes en situation d’itinérance, mais aussi sur les organismes qui les accueillent ainsi que sur leur personnel.

Il est grand temps que soient entendues les manifestations d’impuissance des intervenantes et des intervenants, qui sont épuisés et qui, malgré tout, tiennent à bout de bras des services absolument essentiels. En tant qu’organisation humanitaire de santé qui travaille en partenariat avec les organismes communautaires – notamment en offrant des services de soutien psychologique aux intervenantes et aux intervenants de première ligne –, Médecins du monde est particulièrement préoccupée par la situation qui règne présentement au Québec. Pourtant, des solutions existent.

Nos partenaires en témoignent publiquement : le contexte actuel résulte d’actions entreprises dans l’urgence pour faire face à une situation pourtant prévisible, alors que des mesures visant à renforcer la capacité organisationnelle du secteur communautaire auraient sans doute été plus efficaces.

L’intervention du milieu communautaire ne devrait pas être traitée comme une réponse d’urgence, mais comme une stratégie essentielle de politique publique dans l’accompagnement et la lutte contre l’itinérance.

Parce qu’il est un acteur majeur de la lutte contre l’itinérance et qu’il appuie le réseau public de santé et de services sociaux, le milieu communautaire devrait jouir d’une plus grande reconnaissance de la part des pouvoirs publics. De fait, l’expertise des organismes communautaires au Québec devrait être davantage valorisée et pour ce faire, il serait nécessaire d’envisager un financement de leur mission à long terme, plutôt que d’allouer des fonds à des projets spécifiques et ponctuels. De la sorte, ces organismes seraient beaucoup mieux en mesure de contribuer à une meilleure planification des services sanitaires et sociaux en temps de crise.

Si l’itinérance est un enjeu extrêmement complexe, relevons le défi avec des solutions multiples et adaptées, mais aussi en optant pour une approche préventive plutôt que réactive. Et surtout, prenons en compte, dès le départ, l’expertise du milieu communautaire, et plus encore, le savoir expérientiel des personnes touchées par ces situations de crise.

Cessons de répéter les mêmes erreurs : pandémie ou non, l’hiver revient chaque année !

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