À une époque pas si lointaine que nos parents ont connue, le Québec naissait comme nation. Il a balayé un sol parsemé de poussières d’une société qui était complètement prisonnière des institutions catholiques et du patronat anglophone. Il a cherché à s’affirmer dans sa langue et dans sa culture propre.

Les artistes ont été les premiers instigateurs de ce changement avec le manifeste du Refus global. La chanson, la littérature et le cinéma parlaient de nous. De nos aspirations, de nos rêves, de notre jeunesse. C’était le début d’un temps nouveau.

Nous avons pris les rênes de notre économie, de notre vie, de nos corps et de notre destin. Nous chantions notre joie d’exister, d’avoir survécu ; petite minorité francophone en Amérique qu’on a maintes fois tenté d’assimiler, de modérer, de contrôler.

PHOTO YVES BEAUCHAMP, ARCHIVES LA PRESSE

Conférence de presse des artistes contre K-Tel, le 16 décembre 1975. À gauche, Pauline Julien et Gilles Vigneault.

Nous avons commencé à vivre libres. C’était la Révolution tranquille. Puis, l’échec des mouvements souverainistes et référendaires, l’impossible compromis avec le fédéral nous a poussé vers l’abysse. Nous ne savons plus comment nous définir, comment survivre. Comment nous créer.

Notre peur de nous-mêmes et notre apathie naturelle nous ont renvoyés à notre passé. Comme si nous avions accepté notre médiocrité de n’avoir pas su nous inventer, comme si on avait finalement accompli le rêve de Lord Durham.

Notre musique est devenue commerciale et insipide. Elle a cessé d’être révolutionnaire pour se présenter aux Star Académie de ce monde avec les chanteurs à la mode. Nos peintres ont cessé d’innover pour vendre leurs formules faciles qui plaisent dans les galeries de SoHo, à New York. Nos meilleurs cinéastes nous désertent pour aller conquérir des terrains plus fertiles à Hollywood ou à Cannes.

On a cessé de parler de nous à l’étranger pour vanter nos exploits, notre potentiel, nos accomplissements (exit l’époque d’Expo 67, des Jeux olympiques). Fini la période où Montréal faisait rêver à l’étranger comme une terre de modernité et de création. Aujourd’hui, la ville est minée de cônes orange et chacun de ces cônes incarne nos blessures, nos chantiers à accomplir avant de pouvoir reprendre notre route brisée qui nous mène vers notre destinée collective.

Nos hommes politiques sont devenus ennuyeux, médiocres et insignifiants. Notre système politique hérité des Britanniques a cessé d’être une démocratie brillante et inspirante. On essaye d’endormir toute idée d’élections proportionnelles, de réformes réelles.

De nombreuses blessures que nous nous infligeons à nous-mêmes. Nous avons aussi de vieux squelettes dans notre placard qui ressurgissent. Le manque d’écoute que nous avons eu envers notre minorité autochtone qu’on a laissée mourir dans les pensionnats et dont on a voulu effacer la langue. Nous, qui avons failli disparaître, nous avons laissé notre clergé priver des enfants innocents de leurs familles, de leurs langues et de leurs cultures. Nous avons attendu trop longtemps pour tenter de créer des liens avec les gens dont nous partageons le territoire. Il aura fallu la crise d’Oka pour que l’on commence à se rendre compte qu’ils existent.

Nous sommes endormis dans le confort et l’indifférence. Nos biens matériels, notre succès professionnel nous définissent comme individus, mais nous avons cessé d’exister comme entité nationale. Nous avons abaissé nos pancartes, nous avons cessé de manifester dans les rues. Nous acceptions de revenir progressivement en arrière.

Mode survie

Puis la COVID-19 nous balaye. Nous cessons d’exister comme entité, comme peuple québécois. Et on s’enferme dans nos maisons. Nous sommes dans une galère planétaire qui ne semble jamais vouloir se terminer. Une année, puis deux, puis combien encore ? On impose une pause aux artistes, aux manifestations culturelles même si nos centres commerciaux sont bondés. Même en comprenant tout le bien-fondé des mesures sanitaires, on s’explique mal pourquoi on s’en prend au milieu culturel, aux restaurateurs. Ils deviennent des boucs émissaires faciles.

On cesse d’exister pour survivre. Mais est-ce dans notre ordre naturel ? Ceux qui imposent ces mesures sanitaires évaluent-ils le risque sur notre santé psychologique ?

Par chance, il nous reste assez d’amour propre et envers nos semblables pour supporter l’impossible et pour rêver encore, mais de quoi ? Où allons-nous ? Qui serons-nous demain ? Quel sera notre héritage pour les générations futures ? Qu’avons-nous fait de notre environnement ? Les médias ne nous proposent jamais de bonnes nouvelles.

J’essaye de rester optimiste, mais j’appréhende le néant comme tous et toutes. Je suis vivant, mais est-ce que le Québec l’est encore ? Quelle est sa place dans le monde, dans le Canada ?

Je pose plus de questions que je n’ai de réponses. Je n’ai pas vraiment d’opinion politique, car je suis assez indifférent à ce que l’on me propose. Je n’ai pas vraiment d’opinion sur la COVID-19 et sa gestion. J’ignore quelle solution va nous sortir de cette pandémie. J’ignore qui sont les gens, et combien seront-ils, qui devront encore faire le sacrifice de leurs vies à cette maladie.

J’aimerais dire : « Cessons d’avoir peur de nous-mêmes un instant. Arrêtons de nous excuser d’exister et de parler notre langue, qu’on ne cherche même plus à protéger. »

Notre quotidien mérite d’être autre chose qu’une litanie des statistiques de morts et d’hospitalisations. La COVID-19 ne doit pas nous empêcher de rêver, d’exister, d’innover. Je veux qu’on parle de nous, de nos créations, de nos artistes, de notre littérature, je veux que l’on se réveille. Je veux être québécois et fier de l’être.

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