Le décès tragique du cinéaste Jean-Marc Vallée, le 25 décembre, nous a fait prendre conscience de son immense talent et de la place de géant qu’il occupait sur la scène mondiale. En regardant à nouveau plusieurs de ses films au cours des derniers jours (merci les restrictions sanitaires !), l’idée m’est venue que le Canada venait de perdre un ambassadeur culturel d’importance stratégique, juste au moment où la chef de la diplomatie canadienne reçoit le mandat de déployer de nouvelles stratégies pour renforcer la représentation culturelle du pays à l’étranger.

Mélanie Joly est bien préparée pour remplir cette mission cruciale confiée par le premier ministre dans sa lettre de mandat. Depuis son arrivée au gouvernement à titre de ministre du Patrimoine canadien, elle a mené plusieurs missions internationales importantes à vocation culturelle, notamment auprès de l’Organisation internationale de la francophonie. Ceci dit, elle devra redoubler d’imagination et d’ardeur pour redresser l’image du Canada dans un domaine où son influence a été sensiblement réduite au cours des dernières années.

Si on se fie à l’indice SP30⁠1, qui compare le soft power exercé par les principaux pays du monde, le Canada serait passé du 7e au 15e rang mondial entre 2015 et 2019 pour tout ce qui touche à la culture. Le SP30 n’était pas seul à constater cette perte d’influence. Un rapport du Sénat canadien agitait aussi en 2019 quelques signaux d’alarme, incitant le gouvernement à redresser la barre de la représentation culturelle à l’étranger, particulièrement au chapitre des échanges commerciaux. En 2016, notait le rapport, le Canada importait davantage de contenus culturels qu’il en exportait auprès de ses principaux partenaires, les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. À l’exception de la Chine, la diplomatie culturelle de ces pays s’inscrivait au même moment en tête de liste des plus performants à l’échelle SP30.

À l’invitation du ministre du Patrimoine canadien, le gouvernement fédéral tiendra les 31 janvier et 1er février prochains un sommet national sur la culture.

Comme la responsabilité du soft power culturel incombe aussi au ministre Pablo Rodriguez, on peut s’attendre à ce qui s’y rapporte soit bien inscrit à l’ordre du jour du sommet, et que le gouvernement y présente ses idées et les stratégies envisagées pour renverser la tendance des dernières années.

Trois idées fondamentales pourraient être mises à l’avant-plan lors de ce forum. La première consiste à placer les artistes, les créateurs et la propriété intellectuelle canadienne clairement et résolument au cœur des politiques et des programmes gouvernementaux. La vitalité et la force créative d’un pays constituent la pierre angulaire de toute approche de diplomatie culturelle. Si la création artistique demeure fort appréciable au pays, elle a pu paraître intimidée dans certains secteurs par le déploiement numérique intense. Vivement un message fort et clair au sujet de la primauté de la création.

La seconde touche au financement du développement créatif, de la production et de la diffusion internationale des œuvres artistiques. Difficile de dire ce que le Parti libéral avait en tête en interpellant la Banque de développement du Canada (BDC) dans la portion culturelle de son plus récent programme électoral. Mais il aurait raison de mobiliser divers acteurs publics et privés du financement et de l’investissement pour stimuler l’entrepreneuriat culturel. À cet égard, la nouvelle présidente de la BDC, Isabelle Hudon, pourrait exercer un rôle déterminant, en raison de son intérêt manifeste pour la culture et de son expérience fort bien réussie au sein de la diplomatie canadienne.

La troisième, et non la moindre, implore davantage d’engagement, de cohésion et de concertation de la part des sociétés d’État et institutions culturelles relevant du ministère du Patrimoine canadien. Le moment est peut-être venu de forcer les murs de Chine, au prix s’il le faut d’une super autorité de la collaboration et de la synergie. L’heure est aux alliances, pas à l’isolationnisme.

1– SP30 est un indice du soft power créé par le chercheur américain Jonathan McClory et diffusé entre 2015 et 2019 par la firme Portland. McClory a depuis rejoint Sanctuary Counsel à Londres et ses avis sur les tendances du soft power et de la diplomatie comparée font souvent autorité.

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