Après d’intenses tractations marathons, un nouveau gouvernement israélien issu d’une coalition aux teintes on ne peut plus colorées et dirigé par l’ultranationaliste Naftali Bennett est entré en fonction lundi dernier, renversant le règne de 12 années ininterrompues du « roi Bibi ».

Avec ce gouvernement Bennett, reconnu comme ouvertement annexionniste et pour ses propos incendiaires et racistes à l’endroit des Arabes, on ne peut s’empêcher de se demander de ce qu’il adviendra de l’espoir de pacification entre Israël et la Palestine. Cette nouvelle coalition hautement fragile, empreinte de grandes dissensions idéologiques, laisse présager que l’épineux dossier israélo-palestinien risque d’être mis en sommeil, renforçant davantage le statu quo. Les évènements récents nous ont démontré que la moindre étincelle risque de mettre le feu aux poudres. En attendant, il est essentiel de ne pas perdre de vue l’impact psychologique du conflit sur l’esprit des plus vulnérables, à savoir les enfants, afin de bien saisir les contours d’un conflit qui dure depuis trop longtemps.

L’insécurité psychologique des enfants

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux évènements dramatiques, surtout lorsqu’ils sont prolongés. L’expérience d’un évènement traumatisant peut conduire au développement d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Un constat indéniable est qu’encore une fois, les enfants de Gaza ont payé un lourd tribut au cours de cette conflagration récente.

La bande de Gaza, contrôlée par le mouvement islamiste palestinien Hamas, figurant parmi les territoires les plus densément peuplés au monde, est soumise à un asphyxiant blocus économique israélo-égyptien depuis près de 15 ans, qui prive la population du droit de vivre dans la dignité.

La privation de liberté de circulation, la difficulté d’accès à l’eau potable, un système de santé au bord du précipice, une économie fragilisée ne sont que quelques fragments de la misère quotidienne que subissent les Gazaouis dans cette enclave qui s’est malheureusement vu attribuer le surnom de « grande prison à ciel ouvert ».

Il convient de souligner que la population de la bande de Gaza est particulièrement jeune avec 42,5 % des Palestiniens ayant moins de 14 ans et seulement 2,7 % ayant plus de 65 ans.

Outre le bilan tragique des 66 enfants fauchés par les bombardements à Gaza lors de la guerre de 11 jours, selon les estimations de l’UNICEF, à l’issue de cette guerre, 250 000 enfants gazaouis ont urgemment besoin de services de soutien psychologique.

Une étude de 2020 publiée dans la revue scientifique Frontiers in Psychiatry a révélé que 88 % des enfants et adolescents palestiniens résidant dans la bande de Gaza avaient vécu un traumatisme personnel, la même proportion ayant assisté à la démolition de biens, et près de 85 % avaient été témoins de traumatismes subis par d’autres personnes.1 Les experts s’accordent pour dire qu’à Gaza, faute de ressources, l’accès à des soins de santé mentale est extrêmement difficile. Depuis l’opération militaire israélienne Plomb durci de 2008, l’enfant gazaoui de 13 ans a vécu quatre guerres dans sa vie. Quatre surenchères meurtrières. Quatre épisodes traumatisants rétrécissant comme une peau de chagrin l’espoir d’une paix durable.

Bien que les enfants israéliens soient eux aussi exposés à ce genre d’évènements tragiques, ils bénéficient toutefois d’un cadre protectif quasi inexistant dans la bande de Gaza.

L’éducation comme instrument propagandiste

Autre élément essentiel qui mériterait une attention accrue est le rôle de l’éducation dans la perpétuation de la violence, et ce, dans les deux camps. Parmi les stratégies mises au service de la construction de l’identité collective d’un peuple, on retrouve les manuels scolaires comme vecteurs de récits nationalistes. Une étude universitaire de 2013 dirigée par une équipe de chercheurs palestiniens et israéliens, subventionnée par le département d’État des États-Unis et commandée par le Conseil des institutions religieuses de la Terre Sainte – un groupe de dirigeants juifs, musulmans et chrétiens qui œuvre à la promotion du dialogue interreligieux –, s’est penchée sur le contenu des manuels scolaires des deux camps, en examinant en profondeur 94 livres provenant des systèmes scolaires palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, et 74 livres provenant des systèmes scolaires israéliens laïques et religieux.

En tête des conclusions des chercheurs : la diabolisation et la déshumanisation de l’autre à travers les manuels scolaires sont rares des deux côtés.

Or, l’étude a également révélé que les manuels scolaires israéliens et palestiniens désignent l’autre camp comme un ennemi et décrivent son propre groupe respectif sous une lumière sélective et presque exclusivement positive.

Rien n’illustre mieux le modus operandi de cette dynamique de délégitimation de l’autre que les conclusions des chercheurs concernant la représentation des cartes géographiques dans les manuels scolaires de chaque camp : 58 % des cartes post-1967 figurant dans les manuels scolaires palestiniens représentent la Palestine comme s’étendant du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée, sans mention d’Israël, et 76 % des cartes post-1967 illustrées dans les manuels israéliens montrent qu’Israël se situe entre le fleuve et la mer, sans toutefois préciser l’existence de la Palestine ni de la Ligne verte (démarcation définie lors des armistices de 1949 et reconnue par l’ONU), qui sépare Israël de la Cisjordanie et de Gaza.2

Alors ministre israélien de l’Éducation en 2015, Bennett, mû par un réflexe identitaire, a retiré du programme d’enseignement secondaire un roman mettant en scène une histoire d’amour entre une Juive et un Palestinien, au motif qu’il menacerait l’identité juive et qu’il encouragerait les mariages mixtes entre Juifs et non-Juifs.

Le conflit israélo-palestinien est alimenté par une myriade de facteurs. Braquer la lorgnette sur la dimension psychologique du conflit nous permet de comprendre qu’une infime partie des causes sous-tendant la perpétuation, voire la normalisation de la violence, qu’elle soit physique ou symbolique. Les conséquences des séquelles psychologiques profondes que subissent des milliers d’enfants palestiniens ainsi que la dynamique d’effacement mutuel présente dans les systèmes scolaires des deux camps constituent d’importants freins à l’édification d’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.

1. Lisez l’étude (en anglais)

2. Lisez « Victims of Our Own Narratives ? Portrayal of the Other in Israeli and Palestinian School Books » (en anglais)

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