Le Québec connaît depuis quelques années un débat autour des seuils d’immigration. Ce débat oppose ceux qui craignent qu’une arrivée trop importante d’immigrants excède les capacités d’intégration de la société québécoise aux milieux économiques, inquiets des impacts des pénuries de main-d’œuvre sur l’économie du Québec. Ce sont, de part et d’autre, des préoccupations légitimes.

Au cours des dernières semaines, ce débat semble toutefois mener à des dérapages inquiétants et à une polarisation inutile.

Le gouvernement Legault n’a pas tort lorsqu’il prétend que les besoins en main-d’œuvre ne doivent pas constituer l’unique facteur à considérer pour déterminer le nombre d’immigrants à accueillir. D’autres indicateurs doivent aussi être pris en considération pour évaluer leur réelle intégration au marché du travail (en observant notamment les écarts de taux de chômage, d’emploi et de rémunération avec les personnes nées au Canada, la surqualification et le taux de rétention) afin de pouvoir ajuster les seuils en conséquence.

Comme ces indicateurs évoluent constamment, il est important de les revoir annuellement en fonction des plus récentes données.

Certains vont plus loin. Pour défendre l’idée d’un rabaissement des seuils d’immigration, ils vont jusqu’à nier les conséquences négatives (et bien réelles) des pénuries de main-d’œuvre. Cela risque de perpétuer les problèmes, alors qu’il est crucial de revoir nos façons de faire.

Les enjeux de main-d’œuvre sont bien réels

La transition démographique que vit actuellement le Québec est une réalité incontestable et connue depuis longtemps. La population québécoise vieillit, les baby-boomers quittent massivement le marché du travail de telle sorte que les nouveaux entrants ne parviennent pas à combler les départs. Conséquence ? Le bassin de travailleurs potentiels (les personnes âgées de 20 à 64 ans) sera réduit de près 130 000 personnes en 2031, et ce, en incluant l’arrivée d’immigrants au cours de cette période. Notons également que ce manque de main-d’œuvre sera beaucoup plus marqué à l’extérieur de Montréal, où la population vieillit plus rapidement en raison de l’exode des jeunes vers les grands centres urbains et du faible apport de l’immigration.

Si le fait était connu, nos entreprises ont commencé à sentir la pression de façon plus intense depuis quelques années.

En 2019, les indices du marché du travail développés par l’Institut du Québec indiquaient des améliorations importantes tant au niveau de la vigueur du marché du travail que de la qualité de l’emploi. Rappelons qu’à l’aube de la pandémie, le taux de chômage a atteint un creux historique de 4,5 %.

Ces signaux encourageants s’expliquaient tant par des années de solide croissance économique que par un resserrement du marché du travail. Il n’en reste pas moins que cela a engendré, dans plusieurs régions du Québec, pour plusieurs industries, pour de nombreuses professions, des pénuries qui entravent le développement économique et compromettent la qualité des services publics, notamment en santé et en éducation.

En théorie, ce resserrement du marché du travail pourrait s’avérer fort positif pour les travailleurs, qui peuvent mieux négocier leurs conditions de travail et leurs salaires. Cela n’est toutefois pas toujours le cas en pratique parce qu’il y a d’importants points de friction : plusieurs entreprises doivent demeurer compétitives à l’échelle mondiale et ne s’ajusteront que très lentement et les barrières qui entravent la mobilité des travailleurs sont nombreuses – rigidités institutionnelles, conditions de travail, choix personnels des individus, etc.

Continuer à nier les enjeux de rareté de main-d’œuvre sectorielle et régionale aura des conséquences néfastes pour le Québec.

Malheureusement, cet enjeu complexe s’est cristallisé autour de l’immigration et du seuil des nouveaux arrivants.

À l’opposé, il ne faudrait pas non plus voir en l’immigration LE remède miracle. Il s’agit d’un outil parmi d’autres pour relever le défi de la rareté de main-d’œuvre, et même pas le plus important.

Plusieurs solutions existent

Pour relever ce défi, il nous faudra simultanément agir avec conviction et audace sur plusieurs fronts pour assurer la croissance économique et la pérennité des services publics, notamment dans les régions les plus touchées par le vieillissement de la population. Pour éviter de sortir affaiblis de la transition démographique, il nous faut surtout cesser de se lancer la balle et accepter que les enjeux de main-d’œuvre métamorphosent notre économie.

Les pistes d’action existent, mais elles exigent une profonde remise en question de nos préconceptions. Elles sont toutes interreliées et en mouvance, ce qui rend leur mise en œuvre encore plus complexe.

Voici quelques propositions concrètes, il est urgent de :

  • revoir les politiques d’aide aux entreprises qui reposent principalement sur le critère de la création d’emplois et de moderniser les critères d’octroi à l’aide afin de valoriser la formation, l’amélioration des conditions de travail et l’impact environnemental ;
  • favoriser davantage d’adéquation entre les exigences d’un marché du travail en mutation rapide et la formation offerte de façon plus traditionnelle ;
  • accepter de revoir et d’ajuster les conditions de travail pour certains emplois moins valorisés ;
  • accélérer le virage numérique et l’automatisation des entreprises.

Enfin, le recours aux travailleurs temporaires et à l’immigration permanente fait assurément partie de la gamme de solutions possibles pour combler certains besoins du marché du travail, tant pour recruter des talents à l’international que pour occuper des emplois dont les Québécois ne veulent plus, comme en agriculture.

Mais si on peut parler de polarisation inutile, c’est parce que les écarts entre les seuils établis par le gouvernement pour les années 2021 et 2022 – en ajoutant le rattrapage des retards de 2020 – et les demandes patronales sont minimes et loin de justifier un durcissement des positions.

Les seuils établis pour 2021 et 2022 semblent adéquats dans le contexte où l’économie n’est toujours pas remise sur pied et où le Québec compte toujours près de 100 000 chômeurs de plus qu’à l’aube de la pandémie.

Ainsi, les discussions ne devraient pas se buter à des divergences sur quelques milliers d’immigrants de plus ou de moins par année, une différence somme toute modeste qui ne règlera pas grand-chose. Elles devraient plutôt se concentrer sur l’ampleur des délais administratifs, sur les défis de régionalisation et sur la reconnaissance des compétences des immigrants.

La polarisation du discours sur les seuils d’immigration devient tranquillement un justificatif pour éviter les autres impératifs de la transition démographique qu’amorce le Québec. Poursuivre sur cette voie se fera au détriment de la croissance économique et du bien-être des citoyens.

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