La tempête causée par la proposition de Québec pour amender la Constitution du Canada (projet de loi 96) a révélé un détail important au sujet de Justin Trudeau : il ne se laissera pas définir par l’héritage de son père.

Lorsque François Legault a annoncé qu’il voulait inscrire le Québec comme nation dans la Constitution canadienne, plusieurs s’attendaient à entendre Pierre Trudeau sortir de la bouche de son fils – Trudeau père avait toujours lutté contre l’idée d’un statut spécial pour le Québec au sein de la confédération.

Mais à la surprise générale, Justin Trudeau a fait connaître sa position, à savoir qu’il y était favorable et considérait les amendements de François Legault comme légitimes.

La nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre dans le milieu de l’intelligentsia anglophone. Les suspects habituels étaient au rendez-vous : Andrew Coyne, chroniqueur éternellement en colère et gardien des valeurs anglo-canadiennes a été le premier à monter au créneau.

Le politologue Emmet McFarlane a même été jusqu’à demander la démission de Justin Trudeau s’il acceptait les changements proposés par le premier ministre du Québec.

Cette furie aurait bien fait plaisir à Pierre Trudeau qui croyait que la décentralisation de compétences vers le Québec affaiblirait le caractère sacré du Canada. Sa mission divine de protéger un Canada fort et uni a même causé un des plus grands règlements de comptes entre premiers ministres du Canada.

Un message à ses enfants

En 1987, le premier ministre Brian Mulroney et 10 premiers ministres provinciaux mirent de l’avant un plan pour modifier la Constitution du Canada pour donner au Québec des nouvelles compétences et un statut de société distincte. Un homme cependant les attendait avec une brique et un fanal.

Pierre Elliott Trudeau, retiré de la politique depuis 1984, s’était promis de ne jamais jouer la belle-mère dans les débats de société. Il hésite avant de réagir publiquement contre l’accord du lac Meech, mais il décide de briser son silence avec un article polémique qui rappelle ceux qu’il signait dans Cité libre des années 50 et 60. C’était Trudeau déchaîné.

« Sombre jour pour le Canada », écrit-il, accusant Mulroney de céder aux provinces d’importants champs de compétence (droit de dépenser, immigration) et de subordonner aux provinces le pouvoir législatif et judiciaire. Il s’en prend aussi aux provinces anglophones d’avoir suivi l’exemple du Québec, disant qu’elles s’étaient inscrites à « l’école du chantage » dont le Québec était le fondateur et premier de classe.

Il termine son plaidoyer en traitant Mulroney de « pleutre », disant qu’il rentrera dans l’histoire comme l’auteur d’un document constitutionnel qui rendra l’État canadien tout à fait impotent et gouverné par des eunuques.

Un texte sulfureux certes, mais qui est aussi un message pour ses enfants Michel, Sasha et Justin.

En entrevue le lendemain, Trudeau se fait demander qui était l’auditoire cible de son discours. Sa réponse est claire : « C’est un message pour mes enfants qui un jour deviendront des adultes et se demanderont pourquoi je n’ai pas parlé quand l’avenir du pays était en jeu. » Il continue en disant qu’il voulait que ses enfants sachent et se souviennent que leur père s’était battu pour garder un Canada fort et uni.

De toute évidence, Trudeau fils retiendra la leçon de son père, mais pas la même philosophie.

Gagner la bataille, mais pas la guerre

Après la mort de Meech en 1990, Pierre Trudeau se proclame victorieux, mais la guerre pour l’âme constitutionnelle du Canada était encore loin d’être terminée. On peut même dire qu’avec le recul des années, c’est la philosophie constitutionnelle plus flexible de Brian Mulroney qui a eu raison de l’absolutisme de Pierre Trudeau.

Comme preuve, la proposition d’amendement de François Legault que le Québec soit reconnu comme nation a été reçue positivement par le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney et Justin Trudeau, deux hommes qui ne s’entendent presque jamais, mais savent très bien que les fondations du Canada ne sont pas menacées par un microtremblement de terre constitutionnel.

En se montrant ouvert aux propositions de François Legault, Justin Trudeau s’est révélé davantage comme le fils spirituel des idées de Brian Mulroney que comme l’héritier de la rigidité constitutionnelle de son père… et la confédération canadienne est en bien meilleure santé à cause de cela.

* L’auteur est chercheur émérite à l’Université Laval et ancien conseiller principal en affaires étrangères et sécurité nationale de Stephen Harper et conseiller principal de deux ministres des Affaires étrangères.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion