En tant que pneumologue et médecin spécialiste en santé publique, nos énergies des derniers mois ont évidemment été monopolisées par la COVID-19, qui a coûté la vie à plus de 11 000 Québécois.

Toutefois, nos regards ne perdent jamais de vue la pandémie du tabagisme, qui fauche la vie de plus de 13 000 Québécois chaque année. Or, plus de 28 mois se sont écoulés depuis qu’une soixantaine de médecins et de spécialistes en cessation ont interpellé le gouvernement du Québec afin qu’il bonifie son programme de remboursement des traitements pour la cessation tabagique.

En effet, les règles actuelles ne sont pas adaptées aux réalités de la dépendance et encore moins à la science entourant la cessation. Il en résulte des écarts de pratique qui porte préjudice à un grand nombre de nos patients dans le cadre de leurs efforts pour se sevrer du tabac.

Malgré des échanges initiaux prometteurs, nous n’avons toujours pas obtenu de réponse. Ainsi, à la veille de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai, dont le thème cette année est la cessation, notre patience est mise à rude épreuve. À ce stade-ci, il est difficile de justifier le manque de progrès relatif à cette modeste mesure qui favoriserait l’abandon du tabac, d’autant que ce gouvernement s’est engagé publiquement il y a un an, dans la Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025, à améliorer l’accès aux pharmacothérapies pour les personnes très dépendantes à la nicotine.

Comme de nombreux fumeurs le savent, particulièrement ceux aux revenus modestes, il existe de lourdes barrières qui freinent l’accès aux thérapies et aux médicaments efficaces pour se sevrer de tabac. Étonnamment, le régime de la RAMQ ne rembourse qu’un seul tour de traitement par année, même si plus de traitements sont prescrits par un médecin.

Si une personne échoue lors de sa première tentative, elle doit attendre une année entière avant de pouvoir entamer une nouvelle fois cette même thérapie. Or, il n’est pas rare que les fumeurs passent par des dizaines de rechutes avant de s’abstenir pour de bon.

Malheureusement, un grand nombre de nos patients, souvent parmi les plus dépendants et souvent avec moins de moyens, se voient refuser le remboursement des traitements par le régime de la RAMQ parce qu’ils ont eu la malchance d’avoir échoué à une tentative de sevrage récente. N’étant pas en mesure d’assumer les coûts pour poursuivre ou recommencer les traitements, le système les encourage à continuer de fumer la cigarette.

Aucune justification scientifique

Les restrictions sur les pharmacothérapies pour contrer cette dépendance mortelle n’ont aucune justification scientifique. Il faut venir en aide aux fumeurs au moment où ils sont motivés à se sevrer et non pas les faire attendre à cause de critères d’éligibilité arbitraires. Il n’y a aucune autre maladie pour laquelle le système impose un délai d’attente pour recommencer ou poursuivre un traitement suite à la suite d’un épisode temporaire d’inobservance thérapeutique.

Dépistage du cancer du poumon ?

Pendant que le ministre de la Santé et des Services sociaux continue de cautionner la règle empêchant le remboursement des pharmacothérapies pour de nombreux fumeurs, une autre intervention beaucoup plus coûteuse, mais moins efficace, a reçu l’aval du gouvernement. Nous avons appris que, prochainement, certains fumeurs et anciens fumeurs âgés de plus de 55 ans dans certaines régions du Québec se verront offrir un dépistage pour le cancer du poumon par tomographie axiale à faible dose. Cette intervention a beau être un atout pour la détection précoce de ce cancer et sauver quelques vies, elle n’empêchera pas les 14 autres cancers ni les 22 autres maladies causées par le tabagisme. De plus, les interventions pour la cessation tabagique sont beaucoup plus rentables que le dépistage du cancer du poumon.

Offrir le dépistage du cancer du poumon sans fournir l’aide nécessaire à la cessation risque d’envoyer le signal que les fumeurs peuvent continuer de fumer en leur faisant miroiter que leur vie sera peut-être sauvée par la détection précoce du cancer du poumon – sans égard à toutes les autres maladies causées par le tabac.

Ça passe aussi à côté d’une bien triste réalité : de nombreuses personnes dépistées mourront néanmoins de ce cancer. De plus, il y a de nombreux inconvénients et effets secondaires, souvent majeurs et coûteux, provoqués par le dépistage de ce cancer.

Notre intention n’est pas de rejeter le dépistage, mais plutôt d’agir de façon cohérente et de manière à maximiser la santé. Détectons le cancer le plus mortel, mais éliminons simultanément les barrières qui bloquent l’accès aux traitements pour se sevrer du tabac – la principale cause de ce cancer.

* Le Dr Mark-Andrew Stefan, BSc, MD, MSc, FRCPC, est spécialiste en santé publique et en médecine préventive, intervenant certifié en traitement de la dépendance à la nicotine, responsable médical des services de cessation tabagique au CISSS de Laval et co-porte-parole du Regroupement d’experts pour la cessation tabagique.

** Le Dr Sean Gilman, MD, FRCPC, est pneumologue et directeur, services de cessation tabagique, au CUSM et co-porte-parole du Regroupement d’experts pour la cessation tabagique.

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