Cessons de nous illusionner et figeons au moins les frontières actuelles

Il n’y aura pas cet État palestinien tant rêvé, tant vendu, tant espéré et attendu depuis 1947. Il faut, dans des situations de gestion de conflit sans fin, faire le deuil de certaines choses et voir la réalité en face. C’est comme en amour, cela ne sert à rien de forcer, mieux vaut feinter ou abandonner.

Soyons clairs enfin : si l’on n’est pas parvenu en 70 ans à imposer le droit international pour permettre la coexistence de deux États côte à côte au Moyen-Orient entre la Méditerranée et le Jourdain, pourquoi subitement, par accès de négociation ou de violence, les choses s’inverseraient-elles ? Ce n’est pas être contre la législation internationale issue de 1945, c’est au contraire accepter une impuissance pour mieux rebondir.

Au fond, quels paramètres permettraient de revenir à la discussion entre les belligérants israéliens et palestiniens, alors que la radicalisation politique des deux camps n’a jamais été aussi forte, comme la division au sein même des deux sociétés ? Aucun, hélas.

Pourtant, beaucoup aspirent par idéalisme ou naïveté à faire plier Israël, qui subitement, par l’opération du Saint-Esprit ou quelque chose du genre, se conformerait au droit international, pendant que les Palestiniens du Hamas abandonneraient les armes, sans retrait des territoires occupés d’un côté et sans création d’un État palestinien viable et contigu à la place.

Alors que les colons ont déjà en grande partie gagné la partie, nous continuons inlassablement, contre vents et marées, à défendre le droit international, l’application des éternelles résolutions des Nations unies depuis le plan de partage du 29 novembre 1947 (résolution 181 reprise et complétée par les résolutions 242 et 338 demandant le retrait des territoires occupés). Et nous savons au fond que cela ne sert à rien. Alors, pourquoi continuer à perdre du temps en prêchant dans le désert ?

Il est impossible hélas aujourd’hui, dans le contexte brûlant dans lequel est plongé le Moyen-Orient, et avec les tensions maximales que génère l’exportation du conflit dans les sociétés occidentales dont les gouvernants décrédibilisés ont tenté en vain depuis des décennies de jouer les médiateurs, d’apporter une solution politique et légale équilibrée et faire plier les parties sans qu’elles ne cassent. Il est impossible d’envisager un quelconque État palestinien unifié et indivisible quand on doit avant tout concrètement réfléchir à la manière dont on demanderait gentiment à 600 000 colons israéliens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est de bien vouloir rentrer chez eux et que l’on se souvient du drame national qu’avait provoqué le départ de Gaza en 2005 et ce qui a suivi.

Quatre États

Quelles options avons-nous ? Peu. L’État binational a vécu, tant la crainte démographique des uns et des autres, le risque de guerre civile post Cheikh-Jarrah, les bombardements réciproques condamnables du Hamas et démesurés de l’armée israélienne, les morts de part et d’autre, mais en plus grand nombre à Gaza, rendent impossible un quelconque espoir de pacification des esprits pour les 10 prochaines années au moins. Alors on regarde le temps défiler depuis l’enterrement des accords d’Oslo de 1993, l’échec des accords de Camp David de 2000, la seconde intifada, les guerres contre Gaza et sa population qui ont suivi, et on continue à manifester bêtement pour un État palestinien idéalisé pendant que les morts s’accumulent irrémédiablement ? Israéliens et Palestiniens ont peur, et leurs gouvernements radicalisés (israélien) ou impuissants (autorité palestinienne) ne savent plus comment faire pour trouver une issue diplomatique, donc font la guerre. Et nous ne parvenons pas, États-Unis ou Europe, à les aider.

Depuis des années, Israël pense avoir trouvé une fausse bonne solution, qui est rejetée d’emblée depuis le début par les Palestiniens. Pourtant, elle est déjà une réalité de facto sur le terrain : conforter l’existence de quatre États qui le sont déjà en soi.

C’est-à-dire un État à Gaza administré par le Hamas qui serait, modalités à définir, relié au second État palestinien, la Cisjordanie ; un État des colons en Cisjordanie occupée, et l’État d’Israël. Il y a déjà de fait deux entités palestiniennes, deux visions du monde, deux camps irréconciliables quoi qu’on en dise. Entériner une réalité de fait, qui existe déjà dans le quotidien de ses habitants, à la mode de Donald Trump, plutôt que se battre pour un idéal inatteignable est-il un pis-aller ?

Figer d’urgence les frontières du moment, abandonner transferts hypothétiques de territoires et déplacements futurs de population et drames supplémentaires, c’est déjà assurer la sécurité de tous dans un premier temps sur ces quatre espaces. Puis dynamiser l’économie régionale en développant les relations économiques entre ces quatre États. Au fond, on sait tous que l’on a déjà légué ce puzzle impossible aux générations futures israélienne et palestinienne, pour avoir trop traîné et refusé à un moment des compromis. Mais il est peut-être au moins temps de faire une croix sur un idéal et une utopie, qui ne construit plus la politique, mais d’être enfin réalistes avant que l’on bascule définitivement dans la dystopie, un cauchemar sans fin à venir pour les futurs habitants de la région.

*Sébastien Boussois enseigne en relations internationales et est collaborateur scientifique du CECID (Université libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism).

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