Les propriétaires occupants ne sont pas plus scrupuleux que les investisseurs

Le logement locatif est en crise au Québec et parmi les solutions proposées, des voix se font entendre pour des règles qui favoriseraient les propriétaires occupants plutôt que les investisseurs possédant plusieurs immeubles. On demande un assouplissement pour les propriétaires occupants, soi-disant parce que leurs relations avec les locataires seraient plus correctes et que leur situation financière plus fragile appellerait à des règles plus clémentes.

C’est vrai, sans nul doute, qu’il y a de bons et de mauvais propriétaires. Mais c’est un mirage que de tracer la ligne entre propriétaires occupants et investisseurs immobiliers. D’une part, cela ne correspond pas à la réalité du terrain. D’autre part, ce n’est pas le réel enjeu de la crise actuelle, dont les racines plongent dans la spéculation immobilière.

Les faits

Le comité logement de la Petite Patrie a publié un rapport sur les reprises et évictions frauduleuses (« Entre fraude et spéculation », mars 2020) qui démontre que 85 % des cas enquêtés de reprises de logement, d’évictions et de rénovictions étaient de nature frauduleuse. La plupart de ces opérations spéculatives étaient le fait de propriétaires qui ne possédaient pas plus d’un seul immeuble et beaucoup étaient des propriétaires occupants. Souvent, il s’agissait de nouveaux propriétaires qui prétextaient vouloir occuper le logement mais qui ont utilisé ce prétexte pour s’enrichir. Il est donc faux de prétendre que les propriétaires occupants seraient plus scrupuleux que les investisseurs.

Ce sont les méthodes qui diffèrent. Les propriétaires occupants ont droit à la reprise de logement, facile à maquiller car l’identité de l’occupant d’un logement est plutôt invérifiable. Les médias parlent moins des fausses reprises qui passent sous le radar, mais nos enquêtes ont détecté plus de fraudes dans le cas des reprises que pour les évictions. Or, les investisseurs n’ont pas droit à la reprise et doivent donc s’en remettre aux évictions ou aux travaux majeurs, qui sont plus spectaculaires et, dans le cas de fraudes, plus facilement détectables que les reprises. Ainsi, on entend moins parler des opérations frauduleuses réalisées par des propriétaires occupants, mais comme le montre notre rapport, elles sont plutôt populaires.

Contrairement à ce qui est trop souvent répété, ces prétextes pour vider les immeubles ne servent pas à financer des travaux. Il s’agit d’opérations illégales relativement risquées qui visent des rendements de l’investissement fort lucratifs. Notre rapport en fait la preuve en montrant que le nombre de reprises autorisées par le Tribunal varie exactement en fonction du taux d’inoccupation des logements, car en temps de crise du logement, la tentation de contourner la loi se décuple en regard des gros profits à faire.

La situation des propriétaires occupants et les coûts des travaux sont des leurres qui nous détournent des vrais enjeux. L’enrichissement rapide est le but poursuivi par les fausses reprises et évictions, le logement locatif étant devenu un investissement plus profitable que les cotations boursières.

Le réel enjeu est la spéculation immobilière et ses impacts. Une petite partie des propriétaires s’enrichit scandaleusement et ne lésine pas sur les moyens pour garnir son portefeuille. Une plus grande partie, qui inclut beaucoup de locataires mais aussi des propriétaires, ne peut pas suivre cette hausse spectaculaire des prix et s’appauvrit pour se loger.

Les institutions sont déficientes

Les règles de droit en matière de logement concèdent une arme massive aux propriétaires avec la possibilité de prétexter une reprise ou une éviction pour mettre fin au bail des locataires. Les poursuites possibles en cas de fraude sont inefficaces, car elles sont difficiles à mettre en œuvre et les montants punitifs sont peu dissuasifs comparativement aux profits réalisés.

Le problème à la base est que les locataires partent souvent sur simple réception d’un avis et le Tribunal ne vérifie jamais si les projets autorisés sont vraiment réalisés.

En l’absence de contrôle et de vérification, ces règles deviennent une invitation à la fraude. Et plus le gouvernement refuse d’intervenir, plus les tactiques spéculatives s’emballent, plus les locataires en font les frais.

Pour y remédier, le plus urgent est d’instaurer un contrôle et un suivi obligatoire des reprises et des évictions, ainsi que des travaux majeurs, pour empêcher que le Tribunal soit au service de la spéculation. Ce rééquilibrage des règles bloquerait la fraude et les parties de bonne foi y trouveraient leur compte. En l’absence d’une spéculation immobilière nourrie par la fraude, les terrains disponibles deviendraient plus accessibles pour la construction de logements sociaux et même l’accès à la propriété en serait favorisé. Pourquoi négliger ces solutions qui profiteraient au plus grand nombre ?

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